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poursuit laborieusement son œuvre patiente, et on convient volontiers que les retards qu’elle rencontre ne doivent pas être mis à sa charge, car ils résultent de la nature des choses et des obstacles qu’elle fait naître.

Au surplus, ce n’est pas tant sur les négociations des puissances avec la Chine que l’attention s’est portée dans ces dernières semaines que sur les dissentimens qui se sont produits entre certaines d’entre elles : ils ont failli un moment prendre un caractère agressif. Ce qu’on a appelé l’incident de Tientsin a été sur le point de précipiter l’une contre l’autre l’Angleterre et la Russie, représentées par leurs officiers et leurs soldats. Il s’agissait de peu de chose, d’un terrain sur lequel les Anglais voulaient construire une voie de dégagement pour la gare du chemin de fer, et sur lequel les Russes s’étaient déjà établis, en vertu, disaient-ils, d’une concession régulière du gouvernement chinois. En fait, les Russes étaient à l’état possessoire ; il fallait les déloger, et c’est ce que les Anglais avaient commencé de faire en arrachant les palissades qui entouraient le terrain contesté. Par bonheur, la sagesse des deux gouvernemens a étouffé le conflit dans son germe. Triste spectacle, entre parenthèses, à donner aux Chinois, qui attendaient depuis si longtemps qu’un sérieux désaccord éclatât entre les puissances ! Ils ont pu croire que leurs secrets désirs allaient enfin se réaliser. L’Europe a respiré lorsque lord Lansdowne a annoncé au parlement que le comte Lamsdorff, faisant preuve des qualités d’un véritable homme d’État, avait proposé que le terrain où était né le litige fût évacué par les soldats des deux pays, jusqu’au jour où les deux gouvernemens auraient pu se rendre compte de leurs droits respectifs. Ce sont les Russes, il faut le dire, qui faisaient la principale concession, puisqu’ils occupaient le terrain où le sang européen avait manqué de couler.

Ils avaient, à la vérité, sur un autre point de l’Empire chinois, une affaire pendante d’une importance beaucoup plus considérable, et on peut croire qu’ils n’ont pas voulu la compliquer en envenimant un simple incident. Nous voulons parler de la Mandchourie. Là encore, une lutte s’était élevée entre la Russie et les autres puissances, bien entendu à l’exception de la France, lutte purement diplomatique cette fois, mais néanmoins très regrettable, puisque le gouvernement chinois, sur lequel chaque partie agissait de tout le poids de son influence, devait, en fin de compte, arbitrer le différend et le dénouer souverainement. La Chine a trouvé là l’occasion qu’elle cherchait d’intervenir entre les puissances pour donner raison à celles-ci et