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donner tort à celles-là. En tout temps il aurait été fâcheux de lui laisser jouer un pareil rôle, mais l’inconvénient était, plus grave au moment où nous sommes. En effet, la situation générale n’est pas encore réglée, et nous avons encore besoin du parfait accord des puissances pour faire triompher leurs volontés. Peut-être celles qui ont obtenu gain de cause devant le gouvernement chinois ont-elles agi sur lui moins par des menaces que par des promesses, et l’heure était mal choisie pour en faire. Mais l’Angleterre ne s’est pas arrêtée à ces considérations.

On connaît la situation de la Russie en Mandchourie. Elle n’est pas nouvelle, de même qu’elle n’est pas près de prendre fin. Les derniers événemens, qui ont pu la développer, ne l’ont pas créée, et c’est pour cela qu’il y a eu, ce nous semble, quelque chose d’excessif à vouloir traiter la Mandchourie comme les autres provinces de l’Empire, c’est-à-dire y rétablir intégralement et immédiatement le statu quo ante. Déjà auparavant, le gouvernement russe y avait fait avec le gouvernement chinois plusieurs arrangemens successifs, et il devait forcément en faire de nouveaux au cours d’une période de révolte générale et d’anarchie. Nous n’attachons jusqu’ici qu’une importance relative à ces sphères d’influence un peu idéales, que certaines nations se sont adjugées sans que leurs prétendus droits aient d’ailleurs été reconnus par les autres : ils ne l’ont même pas été par la Chine. Mais, en ce qui concerne la Mandchourie, la situation est tout autre. Les intérêts de la Russie y sont dès aujourd’hui de la nature la plus concrète, réelle et tangible, et rien certainement ne la décidera à les laisser en souffrance.

Après l’entrée des troupes alliées à Pékin, la Russie, qui avait pris à toutes les opérations militaires une part très importante, a presque aussitôt modifié son attitude. Elle a émis l’opinion que le but qu’on s’était proposé en commun étant atteint, le mieux était d’évacuer Pékin afin de permettre au gouvernement chinois d’y revenir. Les puissances, à l’entendre, devaient replier leurs troupes sur Tientsin et y ramener leurs légations. Sans attendre davantage et sans se préoccuper de savoir si ses suggestions seraient accueillies, la Russie s’y est conformée pour son propre compte. Elle a retiré ses troupes de Pékin ; toutefois, ce n’est pas à Tientsin qu’elle les a réunies, mais en Mandchourie. On a critiqué quelquefois sa conduite dans cette circonstance, et quelquefois aussi on a reproché aux autres puissances de ne l’avoir pas imitée. La vérité est que la Russie se trouvait dans une situation qui ne ressemblait à aucune autre elle