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Et c’est de là, dit-on, qu’elle porte, dans ses armes, le crocodile et le palmier. Vous le voyez, tous ces peuples sont frères. Un même langage, un même sabir sert de truchement à ces co-riverains de la même mer, et ils se sentent une même âme. Tenez, vous êtes allé à Aigues-Mortes. On y voit clairement que notre saint Louis, le fils de Blanche de Castille, n’était, au fond, qu’un Méditerranéen. Il s’ennuyait des brumes du Nord ; il eut, toute sa vie, la nostalgie des eaux bleues ; finalement, il alla mourir à Tunis. Et c’est parce que, en bon Méditerranéen, il avait la Méditerranée dans la peau qu’il voulut avoir ici un port à lui, et qu’il construisit cette ville d’Aigues-Mortes, — morte avant de naître, — ce chef-d’œuvre artificiel, ce Versailles ensablé qu’il fit sur le modèle des cités sarrasines et que la tour Constance surveille encore inutilement et mélancoliquement.

La vie méditerranéenne et la solidarité méditerranéenne sont probablement les plus grandes forces d’éducation qu’ait connues l’humanité. L’Egypte, la Phénicie, l’Asie Mineure, la Grèce, la Grande-Grèce, Rome, Carthage, l’Espagne, la Gaule se trouvèrent ainsi réunies en une même collaboration. Tous ces peuples avaient les mêmes façons de penser et les mêmes croyances aux contours peu accusés. Leurs religions n’avaient pas ces figures farouches et ces principes rigides dont se targuent aujourd’hui les plus discutables et les plus éphémères de nos hérésies. Les dieux nationaux fraternisaient volontiers et changeaient de nom et de culte pour plaire aux survenans. Les dieux gaulois entrèrent, sans se faire prier, dans le cadre de l’Olympe grec et du Panthéon romain. Voici des monumens que les Nîmois du IIe siècle, bons croyans pourtant, ont élevés aux dieux égyptiens, Anubis et Sérapis. Voyez, il y avait ici un habitant de Béryte en Phénicie ; il avait conservé un culte pour le Dieu de ses pères, Jupiter Héliopolitain. Mais il vivait à Nîmes ; il fallait bien se plier aux circonstances : il consacra son autel à la fois à son ancien patron et à celui de la ville où il demeurait : « A Jupiter très bon et très grand Héliopolitain et à Nemausus, C. Julius Tiberinus, natif de Béryte, en accomplissant son vœu. » Cet homme assurément n’avait pas l’âme d’un inquisiteur.

Tous ces peuples étaient en contact constant. Les rivages opposés se renvoyaient les échos joyeux des chants et du travail communs. Dans la haute antiquité, ils reçurent ensemble et s’annoncèrent, les uns aux autres, la première et surprenante nouvelle de la découverte du monde par le génie humain. Et c’est