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Liebknecht, dont la prison, quelque temps durant, essaya d’étouffer la voix importune ; c’était Jacoby, un ancien député au Parlement de 1848, qui refusa de siéger au nouveau Reichstag, avec l’espoir un peu naïf que l’Allemagne remarquerait son absence et qu’elle y verrait une protestation ; et c’était enfin un banquier de Trêves, Louis Simon, habitué des Congrès suisses de la Paix et de la Liberté, et qui conjurait la démocratie allemande de laisser aux Alsaciens-Lorrains le droit de disposer de leur sort, de peur que la négation de ce droit n’opprimât tôt ou tard la démocratie allemande elle-même.

Mais la nation protestante, civilisée, philosophe, dont parlait George Sand, passait outre à ces trois mécontens : leur voix succombait sous les hourrahs d’un peuple ; et la France demeurait déconcertée. La guerre avait troublé, jusque dans leurs familiarités et dans leurs déférences intellectuelles, l’élite de nos poètes et de nos savans : habitués à suivre la pensée allemande dans les nuages où cette pensée les entraînait, ils l’avaient vue, soudainement, descendre du ciel sur la terre, et sur leur terre à eux ; et, suivant l’expression de l’un des plus illustres, qui longtemps avait salué l’Allemagne comme sa « maîtresse, » ils avaient « souffert » en voyant « la nation qui leur avait enseigné l’idéalisme railler tout idéal[1]. » Ni George Sand en ses larmes un peu sottes, ni Quinet en ses colères un peu folles, ne trouvèrent beaucoup d’imitateurs : la France, digne et fière, et trompée sans doute, mais s’étant elle-même trompée, avait mieux à faire, en présence de son vainqueur, que de jouer au dépit amoureux ; elle se replia sur son for intime, que la victoire étrangère n’avait pu violer, et l’on vit, sur beaucoup de lèvres, le repentir faire explosion.

Repentir : ainsi s’intitulèrent, sans plus d’ambages, les strophes de haute portée, sereines encore en leur franche tristesse, dans lesquelles un jeune poète osa faire, au nom de sa patrie, une coulpe publique :


Je m’écriais avec Schiller :
« Je suis un citoyen du monde,
En tous lieux où la vie abonde
Le sol m’est doux et l’homme cher.

  1. Renan, la Réforme intellectuelle et morale de la France, préface, page VI : tout le passage est à relire.