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insaisissable dos Sociniens, la seule qui fut vraiment persécutée, contre laquelle tout le monde se tournait, parce que tout le monde avait peur d’être accusé d’en être.

Parmi les Remonstrans s’était formé le petit groupe des « Collégiens » (collectanten), chrétiens pieux, las des disputes, qui se bornaient au culte domestique, et à des retraites de piété faites en commun, deux fois l’an, dans les îles vertes de Rijnsburg. C’était le groupe le plus ouvert, le premier peut-être qui ait conçu la pleine liberté de croyance. Les « Collégiens » admettaient même les catholiques, même les juifs ; même les sociniens. C’est chez eux que Spinoza avait été reçu au sortir de la synagogue[1] ; c’est dans leur orphelinat qu’on a retrouvé ses œuvres inédites.

La multiplicité des croyances religieuses était plus grande encore que ne fait supposer la division des églises. L’autorité des confessions de foi allait s’affaiblissant. Il s’y substituait de plus en plus l’influence personnelle des théologiens. Pas un qui n’eût en quelque manière sa secte. Un proverbe prétendait que, « s’il prenait fantaisie au diable d’établir une école en Hollande, il y trouverait des disciples. » On se distinguait d’après le théologien qu’on suivait, d’après le degré de confiance qu’on lui accordait. On était Voétien vivant ou Voétien mort, Coccéien sérieux ou Coccéien vert. De là naissaient d’interminables controverses. Chacun tirait à soi l’Écriture pour en extraire des dicta probantia. « Autant de têtes, autant de textes, » c’était un autre proverbe[2]. On sentit enfin qu’à s’y bien prendre, on pouvait fonder sur l’Écriture à peu près toutes les thèses. La question capitale fut alors de savoir de quelle manière il fallait interpréter l’Écriture. Cette question donna lieu, entre 1660 et 1670, à plusieurs dissertations importantes, soit philosophiques, soit « paradoxales[3]. »

À Utrecht, vrai centre religieux des Provinces-Unies, Voétius, octogénaire, mais encore sur la brèche, défendait jalousement l’orthodoxie, le point de vue conservateur, formaliste. S’il n’avait plus ses amis du temps de la belle lutte contre Descartes,

  1. Van Vloten, Ad B. Sp. opera supplementum, Amst. 1862, p. 293. — Au témoignage de Bayle, Spinoza fréquentait les églises des Remonstrans.
  2. Geen ketter sonder letter, cité par Spinoza. Saisset, p. 231.
  3. C’est-à-dire « non mises en formes. » Nous dirions aujourd’hui : « littéraires. »