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prétendu que nulle autre nation ne pouvait recevoir la révélation, comme si l’ignorance des autres ajoutait à leur propre bonheur. Mais le témoignage positif de la Bible montre que les autres peuples ont eu des prophètes, et, comme les Hébreux, en ont eu de vrais et de faux. L’élection des Juifs n’était pas, comme l’imaginent les coccéiens, une alliance spirituelle avec Dieu. Elle ne consistait, d’après la Bible même, qu’en la révélation d’une législation avantageuse. Elle n’avait rien d’absolu, ni d’éternel ; les rabbins se trompent en croyant que la persistance des Juifs dans les pays où ils n’ont pas pu se fondre s’explique par une cause surnaturelle. La haine des nations a été, pour les Juifs, un principe de conservation. Et, s’ils venaient aujourd’hui à reconstituer leur empire, on verrait dans cet événement naturel une seconde élection de Dieu[1].

Examinons les cas où des prophètes juifs ont vraiment perçu une révélation. Comment la percevaient-ils ? La Bible fait toujours une distinction entre Moïse et les autres prophètes. « À Moïse, je parle bouche à bouche ; aux autres, par images énigmatiques. » (Nomb., XII, 8.) Il faut admettre, à moins de violenter le sens de l’Écriture, que Moïse a perçu une voix réelle. Il trouvait Dieu prêt à lui parler partout où il voulait l’entendre. Les autres ont eu des visions. Quelques-uns ont vu Dieu. Nulle part, la Bible ne dit que Dieu soit sans figure. Moïse, au moment où il entendait parler Dieu, regarda sa figure, et, sans être assez heureux pour la voir, en aperçut toutefois les parties postérieures. David, Josué, virent un ange tenant une épée. Isaïe, Michée, Daniel, virent Dieu, avec des vêtemens, assis. Ézéchiel vit Dieu sous la forme d’un feu. À toute force, Maïmonide veut que ce soient des récits de songe, parce qu’il est impossible de voir un ange les yeux ouverts, etc. Laissons ces hypothèses inutiles à la critique rationaliste. Quant à Jésus, on est forcé, par les textes, de lui faire une place unique. Il ne reçut sa révélation ni par paroles, ni par visions. Il ne s’entretint pas avec Dieu « bouche à bouche ; » il communiqua avec Dieu « d’âme à âme. » Mais, d’après l’Écriture, personne autre ne fut tel. Par rapport à lui, ses apôtres sont comme les anciens prophètes par rapport à Dieu. Ils ne saisissent pas immédiatement sa pensée, ils entendent ses paroles, ils voient ses actions. Ils les commentent ensuite. Leurs

  1. Spinoza semble faire allusion au mouvement « sioniste » dont il fut question en 1661. Voy. Lettre 33 d’Oldenburg, Van Vlot. in-12, II, p. 314.