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de son âme. Lothair, par exemple, n’est d’un bout à l’autre qu’une charge vigoureuse contre l’Eglise romaine, en l’honneur et au profit de l’église établie ; je croirais volontiers que Disraeli se laisse emporter cette fois par les préventions anglicanes de son milieu, et que son fond de judaïsme très large, — nous l’allons voir tout à l’heure, — n’y est pour rien. En effet, dans ce même roman, le peintre Phébus détaille un couplet enthousiaste à la louange du génie aryen, de la beauté païenne ; c’est la seule note discordante entre les hymnes qui célèbrent dans les autres livres la précellence de l’esprit sémitique. Mais Lothair est une œuvre de vieillesse, écrite par le premier ministre à l’époque où il respire avec délices l’atmosphère d’une aristocratie enfin subjuguée, où il a conquis l’Angleterre et se laisse à son tour conquérir par elle. Partout ailleurs, il souscrit visiblement aux aphorismes de Sidonia : le sel de la terre est dans la tradition sémitique, restée purement juive pour une élite, devenue chrétienne ou musulmane pour les races mélangées, inférieures. Atténuée ainsi par l’infirmité des Gentils, elle conserve encore son efficacité : mais combien plus, quand elle remonte vers sa source !

Au surplus, les nuances théologiques n’ont qu’une importance secondaire ; une seule chose compte et classe les hommes, les familles humaines : c’est la pureté de la race. « Tout est race, il n’y a pas d’autre vérité ! » Chaque fois qu’il revient sur ce thème, Sidonia-Disraëli le développe avec une effusion lyrique. Nul n’a mieux exprimé l’orgueil de ces gentilshommes du désert, momentanément déchus, et la certitude qu’ils gardent, jusque dans la pire abjection où un châtiment de leur Dieu les a plongés, de remonter un jour sur les sommets que ce Dieu leur a dévolus. « Sidonia et ses frères avaient une distinction perdue pour les Grecs, les Saxons et le reste des peuples caucasiques, celle d’être sans mélange... D’où le fait de leur non-absorption dans les races mixtes qui osent les persécuter, et qui tour à tour disparaissent, tandis que leurs victimes fleurissent encore dans la pie ne vigueur du sang arabe-mosaïque. » — Il faudrait citer, et méditer, tout le chapitre où le banquier salomonien dévoile à Coningsby le mystère grandiose de la force d’Israël. « La domination secrète de l’Europe, quelle carrière ! » s’écrie-t-il avec enthousiasme ; et il dit comment ses frères l’exercent, par la richesse, par l’intelligence, car leurs savans occupent les chaires des universités, par la politique, car ils ont des alliés dans tous les cabinets. Dans