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érudition étendue, à cette variété d’études, à ce savoir universel, que s’élance et déborde, comme un fleuve, l’éloquence vraiment digne d’être admirée[1]. » Il n’y a pas de doute que Tacite pense comme Messalla ; nous pouvons être sûrs qu’il ne s’est pas contenté d’apprendre ce que les rhéteurs enseignaient, qu’il a voulu se donner une éducation aussi large que possible, et qu’il a touché à toutes les connaissances de son temps. Ses ouvrages nous en donnent partout la preuve ; mais on la trouvera surtout dans ces digressions, auxquelles il a fait une si grande place et qui méritent chez lui une attention particulière.

Sans doute, il y avait déjà des digressions dans Salluste ; il y en a même dans Tite-Live, quoiqu’en petit nombre ; mais celles de Tacite ont un caractère différent. Salluste ne traite guère que des questions générales de morale ou d’histoire ; Tacite, comme on va le voir, est bien autrement varié. Tite-Live avoue sans détour qu’il les introduit dans son récit pour délasser et divertir un moment ceux qui le lisent. Chez Tacite, elles sont ordinairement courtes et sèches, et l’on ne voit que trop qu’il n’a pas travaillé pour le divertissement des lecteurs ; il n’a d’autre intention que de les instruire. C’est un homme fort instruit lui-même qui, toutes les fois que le hasard des événemens lui fait rencontrer un usage, une croyance, une institution, un ancien souvenir, sur lequel il croit posséder quelque renseignement utile à connaître, ne peut se retenir d’en faire part aux autres, au risque d’embarrasser un peu son récit. Ces digressions ne sont pas toujours bien amenées ; quelquefois elles se rattachent mal au reste, ce qui prouve qu’elles sont bien de Tacite et qu’il ne les a pas trouvées chez les historiens dont il se sert. Pour les introduire dans son ouvrage, le plus léger prétexte lui suffit ; il les justifie par quelques excuses très simples, quelquefois un peu naïves, comme, par exemple, par ces mots : « il ne sera pas hors de propos, ou : j’aurai bientôt fait de dire, non fuerit absurdum, non erit longum. » Le plus souvent il ne se donne pas la peine de les justifier, pensant que l’intérêt qu’y prendra le lecteur l’empêchera de se plaindre. Parmi ces digressions, les plus nombreuses se rapportent à la constitution romaine, aux changemens qu’elle a subis, aux magistratures anciennes et nouvelles, à la distribution des légions dans l’empire, etc. : on comprend que

  1. Ita enim est, optimi viri ; ita ex multa eruditione, ex pluribus artibus et omnium rerum scientia, exundat et exuberat illa admirabilis eloquentia.