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des sujets de ce genre aient occupé un jeune homme qui se destinait à la vie publique. D’autres concernent les choses religieuses, et. spécialement ce qui devait être moins familier aux Romains, les religions étrangères. L’Egypte, avec ses mystères, semble avoir exercé un certain attrait sur l’imagination de Tacite[1] ; il se vante de mieux la connaître que les autres. A propos

  1. Un des passages les plus importans de Tacite, au sujet de l’Egypte, est celui où il raconte la visite que fit Germanicus aux monumens de Thèbes (Ann., 11, 60, 61). J’ai voulu savoir ce qu’il fallait penser de l’exactitude du récit. Je ne pouvais mieux faire que de m’adresser à la science de mon confrère et ancien élève, M. Maspero. Je transcris ici sa réponse, quelque longue qu’elle soit, persuadé que le lecteur me saura gré de n’en avoir rien omis.
    « Les renseignemens sur Canope et sur Hercule, par lesquels le chapitre 60 débute, faisaient, au temps de Tacite, partie d’un fonds commun de notions sur l’Egypte, qu’on rencontre chez les auteurs alexandrins ou chez leurs dérivés. Tacite aurait pu les emprunter à vingt ouvrages différens, et ils ne prouveraient pas que Germanicus eût vu le pays d’autre façon que les touristes ordinaires.
    Le passage relatif au séjour à Thèbes est, au contraire, caractéristique. Si l’on en doit juger par les monumens, encore existans aujourd’hui, le vieux prêtre qui servit d’interprète montra aux Romains deux séries de monumens qui se rapportent à deux Pharaons différens, mais qui se trouvent dans deux parties fort rapprochées du temple de Karnak : 1° Une copie du poème de Pentaouirit, qui racontait les exploits de Ramsès II pendant la campagne de l’an V ; 2° les Annales de Thoutmosis III, où étaient énumérées, année par année, les quantités de butin reçues par le temple d’Amon, au retour de chaque campagne en Asie.
    1° Le poème débutait par une énumération des peuples coalisés contre l’Egypte, et dont plusieurs, Mysiens, Iliens, Lyciens, appartenaient vraiment à l’Asie Mineure. Les indigènes, partant du principe que leur Sésostris avait dépassé tous les conquérans venus après lui, interprétaient les noms selon les connaissances géographiques du moment, et ils n’hésitaient pas identifier avec la Bactriane, la Médie, la Perse, la Scythie, les nations que nous savons aujourd’hui avoir vécu entre l’Euphrate et la Méditerranée. Que l’explication ait été donnée en face de la muraille, cela paraît bien prouvé par la présence du nom réel de Ramsès, le seul qui soit enregistré dans les textes entouré du cartouche, au lieu du nom légendaire de Sésostris. La mention relative au nombre d’habitans ne figure nulle part ; mais le passage où Ramsès parle des millions de soldats et des myriades de jeunes gens, auxquels il préférait la protection d’Amon, pouvait être pris au pied de la lettre, dans une lecture rapide de l’inscription, et suggérer l’idée d’une armée réelle, présente sur les champs de bataille. 2° Les Annales de Thoutmosis III répondent exactement au signalement que donne Tacite, et contiennent bien « le détail des tributs imposés aux peuples, le poids de l’or et de l’argent, la quantité d’hommes et de chevaux, les offrandes pour les temples en parfums et en ivoire, le blé et les autres provisions que chaque nation devait fournir. » Ces tributs ne sont certainement pas comparables à ceux que levaient les Romains et les Parthes, mais on comprend que certains chiffres très élevés, signalés au vol par l’interprète, aient pu paraître donner l’idée d’un ensemble considérable.
    En résumé, ce passage de Tacite reproduit certainement le récit de quelqu’un qui avait assisté à la scène. On pourrait indiquer presque à coup sûr les endroits où Germanicus et sa suite avaient été conduits, ceux où ils s’étaient arrêtés pour recevoir les explications du prêtre, et regarder la muraille ou celui-ci déchiffrait ce qu’il leur disait. »