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IV

L’éducation de Tacite dut s’achever, pendant les premières années du règne de Vespasien. C’était, à tout prendre, une époque heureuse et qui le paraissait davantage quand on se souvenait des événemens terribles qu’on venait de traverser. Le moment était favorable à un jeune homme qui voulait se faire connaître. Tacite s’y préparait en suivant les orateurs célèbres, « qu’il écoutait, nous dit-il, avec une grande ardeur de jeunesse et une passion merveilleuse d’apprendre. » Quand il jugea qu’il en savait assez, et qu’il eut suffisamment écouté les autres, il prit la parole à son tour.

Nous ignorons devant quel tribunal il s’est d’abord produit, mais il est très probable qu’il y réussit du premier coup. Pline, qui débuta quelques années à peine après lui, nous apprend qu’à ce moment Tacite était déjà « florissant de gloire et de renommée. » La réputation lui était donc arrivée très vite. Ce qu’il fut comme orateur, nous ne le savons pas précisément, n’ayant conservé aucun des discours qu’il a prononcés lui-même. Mais ceux que, dans ses ouvrages, il prête avec tant de complaisance aux personnages historiques permettent de le conjecturer, car il est probable qu’il les a composés d’après sa méthode et ses habitudes. Ici encore Pline nous donne un renseignement important : au sortir d’une séance du Sénat, il écrit à l’un de ses amis : « Tacite a parlé avec beaucoup d’éloquence, et, ce qui est le caractère de son talent, avec gravité. » C’est bien ainsi que nous nous le figurons ; Bossuet l’appelle « le plus grave des historiens, » il était sans doute aussi le plus grave des orateurs. On ne peut pas douter qu’il n’ait été très passionné pour un art auquel il devait une renommée si précoce : il n’y a pas de succès qui touchent davantage, surtout lorsqu’on est jeune, que ceux que donne la parole. Un des personnages de son Dialogue, après avoir dépeint cette sorte d’enivrement qu’on éprouve à imposer ses opinions à tout un auditoire, insiste sur ce qu’il appelle les joies secrètes de l’orateur, celles dont il peut seul se rendre compte. « Apporte-t-il un discours soigneusement travaillé ? ses sentimens intérieurs ont, comme sa parole, quelque chose de calme et d’assuré. Se présente-t-il, non sans quelque émotion, avec une composition toute nouvelle et à peine achevée ? l’inquiétude