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Une autre conséquence de ses succès oratoires fut son entrée dans les fonctions publiques. « Ma situation politique, dit-il, fut commencée par Vespasien, accrue par Titus, et portée plus haut encore par Domitien. » En marquant aussi nettement les trois degrés qu’il a successivement franchis, il semble bien indiquer les trois étapes par lesquelles on s’acheminait d’ordinaire à la dignité suprême, c’est-à-dire au consulat. Il faut donc croire que Vespasien l’a fait questeur[1], Titus édile ou tribun du peuple, et Domitien préteur. Dans cette carrière, le premier pas devait être l’un des plus difficiles. La questure ouvrait la porte du Sénat, et le nombre était grand de ceux qui désiraient y entrer ; les vingt places de questeurs, qui se donnaient tous les ans à cette jeunesse impatiente, étaient donc très disputées. L’empereur s’en réservait un certain nombre, que vraisemblablement il accordait de préférence à des jeunes gens de talent qui, n’appartenant pas par leur naissance à l’aristocratie sénatoriale, éprouvaient sans doute plus de peine à arriver tout seuls. C’était précisément la situation de Tacite, et ce qui achève de montrer qu’il a dû être choisi directement par les empereurs, aussi bien pour la questure que pour les autres fonctions qu’il a obtenues, c’est qu’il éprouve le besoin de nous dire que ces faveurs qu’il a reçues d’eux n’influeront pas sur la façon dont il jugera leurs actes. Tacite a donc été, dans toutes les magistratures, ce qu’on appelait un « candidat de César. » C’est la protection particulière de Vespasien qui l’a introduit dans la vie politique ; c’est le choix de Domitien qui l’a revêtu de la plus haute magistrature qu’on pût occuper avant le consulat. Il était préteur l’année où il plut au prince de célébrer les jeux séculaires, et, comme, en même temps, il faisait partie d’un très important collège de prêtres, en cette double qualité, il fut de ceux qui présidèrent à ces fêtes splendides. Il avait alors trente-trois ans ; pour un « homme nouveau, » il était arrivé très vite.

Nous devons donc nous figurer Tacite, à ses débuts, comme un protégé de l’empire, et il est naturel qu’il fût alors très partisan du régime impérial[2]. Il n’avait pas de violence à se

  1. C’est au moins l’opinion de Nipperdey, dans sa Vie de Tacite, qu’il a mise en tête de son édition des Annales. Urlichs croit, avec Borghesi, que Vespasien lui concéda le laticlave ; mais l’opinion de Nipperdey paraît la plus vraisemblable.
  2. Ces sentimens se retrouvent à la fin du Dialogue sur les Orateurs, qui fut probablement écrit vers cette époque.