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qu’il n’y avait plus d’assemblées proprement dites, on était si tranquille ; contre les interrupteurs du repos public, ce fut un tolle général. Plusieurs journaux signifièrent au Tribunat qu’il se tromperait grossièrement s’il se croyait appelé par la constitution à entraver la marche des affaires, à s’ériger en permanent obstacle, en Chambre d’opposition.

En réalité, une minorité d’opposans assez nombreux s’était formée dans le Tribunat et le Corps législatif. Parmi les tribuns, les uns voulaient simplement se donner de l’importance, obéissaient à l’incurable manie de parler à tort et à travers et de critiquer ; d’autres étaient des fanatiques d’irréligion, reprochant à Bonaparte de trahir la cause de la Révolution et de la philosophie en supprimant l’intolérance, en répondant au vœu national qui redemandait des autels. Quelques-uns, d’esprit plus ouvert et raffiné, désiraient sincèrement, dans la mesure de leurs attributions, maintenir un régime de libre discussion et de contrôle.

Ces parlementaires attardés se réunissaient pour la plupart chez Mme de Staël, mais ne s’y trouvaient pas seuls : ils s’y rencontraient avec des ministres et des conseillers d’État, avec les frères de Bonaparte et ses amis de la première heure. En rouvrant son salon, Mme de Staël avait voulu moins en faire un foyer d’opposition qu’un centre d’influence. Cette femme de génie eut toujours la passion et la faiblesse de se mêler aux affaires publiques, de s’y jeter avec toute son ardeur et de réclamer part au gouvernement. Sous le Directoire, elle s’était crue un instant l’Egérie des hommes du Luxembourg ; elle avait approuvé l’acte de fructidor, puis s’était efforcée d’en modérer les suites ; généreuse jusqu’en ses erreurs, elle avait arraché à la terreur fructidorienne plusieurs victimes ; dans le gouvernement d’alors, elle eût voulu se créer un ministère idéal, tout d’influence et d’autorité spirituelle, mais elle en eût fait le ministère de la pitié. Aujourd’hui, elle avait trop l’instinct du grand pour ne pas admirer Bonaparte ; elle ne demandait qu’à le porter aux nues, à le célébrer, à l’aimer, mais à la condition qu’il puiserait auprès d’elle quelques-unes de ses inspirations, qu’il admettrait les critiques de Benjamin Constant et transformerait le salon de Mme de Staël en succursale du Consulat. Les habitués de ce salon, comme Mme de Staël elle-même, avaient applaudi au 18 Brumaire et cru qu’en ce jour, la liberté proscrite rentrait par effraction ; ils