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Fouché avait signalé à Bonaparte l’existence de l’agence anglo-royaliste ; il percevait dans l’ombre et frôlait les fils du réseau, mais n’arrivait pas à mettre la main dessus. Le gouvernement consulaire multipliait néanmoins les rigueurs et frappait tout ce qu’il pouvait saisir. Le jeune comte de Toustain, émigré rentré, arrêté et trouvé porteur de papiers compromettans, fut traduit devant une commission militaire, condamné à mort et fusillé dans la plaine de Grenelle. Des chouans s’étaient glissés dans Paris pour participer à la tentative de vive force ; sept furent saisis et exécutés à la fois : « Tous les jours on fusille ici cinq ou six chouans, » écrivait durement Bonaparte[1]. Dans ce Paris « toujours le même, — des théâtres remplis, le luxe à côté de la misère, des jeux, des bals, des folies de tout genre, » des gens mouraient obscurément pour leur cause ; relégués aux abords de la cité, des spectacles de sang montraient les lois implacables de la République encore en vigueur contre ses ennemis en armes.

Les nouvelles arrivant de l’Ouest produisirent plus d’effet. En Vendée, les hostilités n’avaient même pas repris, les chefs insurgés ayant fini par signer l’engagement de dissoudre et de désarmer leurs corps, au prix de certains tempéramens dans l’exécution. Dans le Maine et en Bretagne, quelques coups de vigueur obligeaient Autichamps, Bourmont, La Prévalaye, Cadoudal à faire porter des paroles de paix. Bien que Frotté tînt toujours en Basse-Normandie, bien que Cadoudal et d’autres voulussent seulement se ménager un répit et comptassent, au printemps, avec les secours de la coalition, renouveler une prise d’armes, la pacification parut en bonne voie. Cette prompte fin d’une longue guerre donna une haute idée de la vigueur et de la puissance consulaires. A Paris, les classes même les moins révolutionnaires craignaient les chouans, hommes de brigandage et de violence ; à voir leurs bandes rejetées au plus profond des espaces, à peu près anéanties, Paris respira plus librement.

En même temps, le fonctionnement régulier de l’administration, l’éclat du gouvernement, son impartialité hardie, son imperturbabilité au milieu des dernières clameurs parlementaires, sa marche assurée et résolue, frappaient vivement les esprits. Sans doute, à considérer l’horizon, que de points noirs subsistent : délabrement des finances, ruine du crédit, rareté du numéraire,

  1. Correspondance de Napoléon, VI, 4589.