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regards et paraissaient les plus dangereux. Il songea d’abord à frapper Cadoudal, ordonna aux troupes de foncer en plein Morbihan et d’anéantir « ce malotru de Georges[1]. » Mais Georges avait fini par rendre un assez grand nombre de fusils : Brune accepta sa soumission. Bonaparte écrit alors au général Hédouille, à Angers : « Bourmont nous joue, il n’a rendu ni ses canons ni ses armes ; mettez-vous à la tête de vos troupes et ne quittez vos bottes que lorsque vous l’aurez détruit. » Souple et glissant, Bourmont esquive le coup en quittant brusquement la partie, en se séparant de ses troupes, en demandant qu’on le conduise à Paris, où la police de Fouché reconnaîtra en lui un homme à utiliser. Il ne restait que Frotté, l’unique chef qui n’eût encore proféré aucune parole de paix et le plus rapproché de Paris. C’est contre cet obstiné partisan que Bonaparte désormais s’acharne. Il veut à toute force avoir cet homme, l’avoir plutôt mort que vif. De Paris, il organise lui-même la poursuite, la battue, la « chasse générale[2]. » Le 27 pluviôse, Frotté, se résignant enfin à traiter et attiré dans Alençon, était pris en trahison par les généraux Guidai et Chambarlhac. Sur lui, une lettre accusatrice se trouva ; écrite à son lieutenant Hugon, elle établissait qu’il n’eût jamais opéré de bonne foi le désarmement, alors même qu’il eût paru y souscrire ; il ordonnait de cacher les armes. Bonaparte acquit ainsi la preuve que Frotté était venu la paix sur les lèvres et la guerre dans le cœur. Furieusement, sans regarder aux moyens indignes par lesquels ses subordonnés avaient mis cet homme entre ses mains, il lança l’ordre de sang qui allait entacher sa gloire. Le 28, à Verneuil, Frotté et ses cinq compagnons périssaient fusillés, gardant le suprême honneur, en ces temps bouleversés, de n’avoir servi qu’une cause et de mourir fidèles.

Bonaparte annonça la capture par coup de théâtre, avec mise en scène, et s’en fit argument auprès du Corps législatif. C’était le 28 pluviôse que cette assemblée devait statuer sur la grande loi d’organisation départementale. Au cours de la séance, un message arriva du Luxembourg et fut remis au conseiller d’État Rœderer, l’un des commissaires désignés pour soutenir le projet : par lettre écrite au nom du Premier Consul, le secrétaire d’État Maret invitait Rœderer à faire éclater la nouvelle et lui

  1. Correspondance de Napoléon, VI, 4567.
  2. Ibid., 4545.