Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mon regard, attentif sous l’ombrage des cils,
Observe l’araignée à l’affût dans ses fils.
Et la ciguë avec sa blanche ombelle où bouge
Un insecte luisant et rond comme un grain rouge.
Je respire. Le vent par larges souffles lourds
Propage sur les prés des ondes de velours.
Une troupe de beaux papillons entrelace
Ses guirlandes de fleurs sans tiges dans l’espace.
L’herbe que mon œil proche explore m’apparaît
Mystérieuse ainsi qu’une obscure forêt.
Dans cette demi-nuit verte, les sauterelles
Traînent leur ventre rose et font plier les prêles.
Inquiètes devant le plus léger sillon.
Les rampantes fourmis vont en procession.
Un lézard fuit. La taupe aux mains de vieil ivoire
Creuse tenacement son antre d’ombre noire.
Mon âme se dissipe et flotte hors de temps
Dans une extase heureuse et confuse où j’entends
Vibrer d’un moucheron l’arabesque sonore.
Le parfum des foins mûrs baigne mon âme encore.
Puis, vaincu par l’immense ardeur de firmament,
Je m’endors, et mes yeux gardent en se fermant
La vision d’un clair village sur la côte,
Et du ciel bleu qui rit à travers l’herbe haute.
Dans ces jours de l’aride été, l’homme ébloui
Sent la création entière vivre en lui.
Un sang torrentiel se presse dans ses veines.
Son crâne est comme une urne où chantent des fontaines
Et sa poitrine s’enfle au rythme de son cœur.
Arôme, onde et rayon, et lumière et rumeur,
Il rêve qu’il retourne au réservoir des forces,
Qu’il n’est, substance unie aux changeantes écorces,
Qu’un atome de Pan pour une heure incarné ;
Et l’homme, ivre de Dieu, s’irrite d’être né.


IV


Les rosiers chargés d’eau luisent. Le crépuscule
Drape de crêpe gris les arbres du jardin