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un coteau bien exposé, et le voilà parti ; il s’attache à ce nouveau sol comme un cep transplanté. Le vin qu’il boit lui donne de la gaieté, de la finesse, de l’œil, comme on dit, et de l’ouverture d’idée. Le pampre fleurit sur son visage. Le vigneron de Touraine, d’Anjou et du Poitou est toujours du pays de Rabelais. Le Bourguignon est de belle humeur, beau diseur, parfois éloquent. Tout cela fait un fond excellent ; et ces petits vignerons, quand leur taille se redresse et qu’ils se dégrouillent, sont de la race de ces fantassins bien guêtres, bien ficelés, secs et hàlés sous le shako, qui, d’un pas court et vif, ran plan, ran plan, ont fait le tour de l’Europe. Je dirai bientôt la grande misère qu’il y eut en France quand la vigne fut frappée. Nos maux viennent de là ; et c’est d’avoir su y porter remède que nous viendra, peut-être, la guérison.

Le vigneron a pour camarade le jardinier, chapeau de paille, tablier bleu et l’arrosoir à la main. Celui-ci demande à son champ deux ou trois récoltes par an. C’est un bon diable, doux et uni comme ses plates-bandes. C’est lui qui fait courir le duvet sur les pêches d’Argenteuil, c’est lui qui fait rougir les cerises de la vallée du Rhône, qui fait mûrir les poires juteuses, et dont l’inquiète vigilance arrose et dore le chasselas. Fine oreille, il surveille, en terre, le travail aveugle du radis, de l’asperge, de la pomme de terre ; il sait tout, c’est un débrouillard. Peu à peu, il transforme la terre de France. Il la caresse de sa main calleuse et douce. Il étend, sous le soleil, le tapis des couches et des châssis. Ses fleurs et ses fruits se répandent au loin. Fleuriste, artiste, le luxe du monde est, d’abord, son tributaire.

Mais voici les longs plateaux qui unissent les collines, voici les vastes plaines plates qui s’allongent au bas cours des fleuves. Ce sont maintenant les champs, et c’est le labourage. Au printemps, les blés en herbe courent sur la terre et frissonnent à l’aigre caresse du vent ; quand vient l’août, la plaine est blonde et l’océan mollement agité des moissons cuit sous le grand soleil ; la campagne est diaprée de la variété des récoltes : seigles prompts et haut montés, blé roux et grenu, avoines fines, orges à la barbe d’or ; puis, c’est la variété des prairies artificielles et des couverts, sainfoins, luzernes, trèfles incarnats, lentilles et hivernaches, et enfin la richesse des plantes industrielles, l’alignement infini et monotone de la betterave, cette vigne du Nord. A l’automne, le soc retourne le sol détrempé, la bonne odeur de