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pour elles. Elles ont fait la Révolution, alors que le paysan ne savait pas ce qui se passait et, prenant son fusil, tirait dans le tas, sur ses adversaires ou sur ses amis.

Ce qui est décisif, dans notre histoire et dans notre vie publique, c’est cette alliance que les villes ont conclue de bonne heure avec le pouvoir central. Partout, les partis populaires allaient au-devant de la royauté et lui offraient les clefs des portes sur un plat d’argent. La royauté, de son côté, les exhortait, les engageait, leur prêtait la main ; elle sapait ainsi, par-dessous, les seigneuries, qu’elle attaquait par-dessus. Le coup fait, on se partageait les dépouilles ; et les villes prirent ainsi l’habitude d’obéir à la direction venant du centre. Ces villes, si nombreuses et si actives, ne réclament, nulle part, l’exercice, si répandu ailleurs, des libertés républicaines. Les communes du moyen âge n’ont jamais ni revendiqué, ni pratiqué le self-government. Les autonomies locales ont été seigneuriales : des duchés, des comtés, des provinces ; jamais des cités. Marseille, Toulouse, Lyon, ne sont rien que de grands centres de population échelonnés sur les rivières et sur les routes qui mènent à Paris.

S’il y a une force de résistance en France, elle est aux champs ; on l’a bien vu dans les Jacqueries et les Chouanneries. L’aristocratie s’est toujours appuyée sur les campagnes. Quant aux grandes villes, elles donnent l’exemple de l’obéissance, et étendent au loin le pli de l’imitation. « Comme à Paris, » c’est le grand mot de l’agglomération urbaine française. Quand le paysan garde encore ses mœurs et son costume, le même, devenu ouvrier des villes, prend le chapeau, la redingote et l’âme bourgeoises. La constitution toute moderne d’un prolétariat urbain a été une étape décisive, quoique douloureuse, dans la tendance générale de la société démocratique française à se former sur l’idéal bourgeois. L’ouvrier des villes a quitté la blouse et laisse le bourgeron. Déjà plus raffiné, plus exigeant et plus conscient de sa force, il ne sait encore que se grouper ; demain, il saura s’organiser. Plus semblable alors à l’ouvrier de Paris, qui lui a ouvert la voie, il aura moins de confiance dans les solutions brutales, et il s’accommodera aux nécessités du travail, du moment où le travail sait s’accommoder à ses propres nécessités.


Ainsi, tous les chemins de la géographie et de l’histoire mènent à Paris. Les montagnes déboulent en collines, les collines