Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vaillance, d’entrain et d’allégresse. Paris ne connaît pas cette trêve de deux jours, au moins, que Londres s’accorde toutes les semaines. Il n’a ni repos, ni répit. Paris est une des rares villes où, dans les chaleurs de l’été, quand le thermomètre marque 30° à l’ombre, on voit des hommes en redingote noire traversant, en plein midi, les rues et les places, sous le soleil torride, pour se rendre à leurs affaires.

Le travail de Paris n’est pas l’occupation calme et régulière, le train-train journalier qui constitue l’activité rythmée et l’hygiène sociale de la province. C’est un élan et un spasme répétés. Les muscles, le cerveau et les nerfs du Parisien sont toujours tendus ; ses nuits sont courtes, et il dort mal, dans l’obsession du réveil à l’heure dite. Le Parisien se lève pour s’habiller et partir. Il est toujours en tenue et sur le pont.

La diversité des besoins fait la multiplicité des occupations : chacun est incité à tirer de lui-même tout ce dont il est capable. Des facultés qui, partout ailleurs, seraient atrophiées et inutilisées, trouvent, ici, leur emploi. Diogène ne perd pas sa peine, même en roulant son tonneau. Valmajour gagne une fortune avec son tambourin.

Quoique la dépense musculaire de Paris soit considérable et que ses faubourgs ronflent, jour et nuit, au souffle de l’activité industrielle moderne, ce labeur ne lui suffit pas. Il est plus exigeant envers lui-même. Le ressort qu’il met en jeu, c’est son cerveau. Il s’ingénie ; il crée. Il est capable d’une forte attention. Le pli du front et la pâleur du visage inscrivent, sur la physionomie du Parisien, la marque d’une réflexion constante.

Tandis que la province accumule les petits mouvemens identiques et réguliers et amasse ainsi une puissante énergie d’épargne, Paris dépense cette énergie en un crépitement continu d’étincelles. La promptitude et la vivacité de l’intelligence prodiguée, chaque jour, à chaque minute, dans chaque atelier, est admirable. Un ouvrier ciseleur enlève une taille ou polit un nu avec un sentiment de la perfection et du goût qui ne l’abandonne pas, alors même qu’il est pressé par l’exigence du temps et par la loi du bon marché ; une modiste qui, sur les marches de la Madeleine, saisit au passage le défilé d’une noce mondaine pour s’inspirer et créer, à son tour, la mode qui sera celle de demain tend, à cette heure précise, l’effort de son cerveau avec une intensité pareille à celle de l’astronome de l’Observatoire