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s’adresser aux agens des diverses administrations, un danger de voyager sur les chemins de fer, un aléa de mettre une lettre à la poste, une ingénuité de confier un secret au télégraphe ; et ainsi de suite... La vie politique est devenue une mêlée féroce d’intrigues et de fange, d’où les hommes prudens et bien élevés se retirent, où les perfides et les effrontés se font gros et gras, tandis que les meilleurs esprits s’en détournent, troublés, paralysés, stérilisés... Les classes supérieures de la société se raccrochent à l’on ne sait quelle phraséologie académique qui voudrait exprimer des idées, mais qui n’est que le vide, avec ce sous-entendu qu’il n’y a pas à s’occuper de ce qui arrive, parce qu’il n’y a rien à y faire ; que le pays va politiquement à la ruine, parce qu’il ne peut pas n’y point aller ; et que l’anarchie, au bout d’un abrutissement général, est le but inévitable de cette romantique promenade. Les gendarmes, dit-on, y pourvoiront en temps opportun, si l’Etat réussit à sauver au moins la gendarmerie ! ...

En attendant, une centralisation pléthorique, une bureaucratie atteinte d’éléphantiasis, un efflanquement de tous les organismes civils et militaires;... des travaux publics colossalement et stupidement entrepris, si bien qu’il n’est pas de ville où l’on n’ait vu surgir à la douzaine les millionnaires improvisés ; le gaspillage élevé au rang d’institution et régnant dans tous les services ; chaque chose payée le double de ce qu’elle devrait coûter. Par là-dessus, une politique étrangère nerveuse, incohérente, tantôt affairée, tantôt effarée, et biscornue toujours... Une politique coloniale qui n’a été qu’une ronde sanglante. Des finances de mineur prodigue et dévoyé. Une corruption universelle ; la propagande la plus anti-sociale librement tolérée et favorisée ; la magistrature devenue la servante du pouvoir exécutif, en secondant les visées et les violences ; la banque faite politique et la politique faite banque. De toutes parts, la désaffection : personne ne combat plus du fond du cœur pour des institutions à qui manquent la sagesse et la force ; qui se sont montrées impuissantes à contenir les classes dans leur orbite naturelle ; impuissantes à rendre une saine justice ; impuissantes à conserver dans le peuple la paix religieuse ; et qui, en un mot, se sont fait une règle constante, en politique intérieure, d’être les amies de leurs ennemis et les ennemies de leurs amis...

Il est d’une probité élémentaire d’avertir, sans aller plus loin,