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eux qui passent. Dans les constructions du droit public, elle ne sacrifie pas étourdiment l’Etat à l’individu ; elle ne supprime légèrement ni l’étendue, ni la durée ; [individu tout proche et éphémère est son moyen, mais la société séculaire et entière, en son ensemble et plus loin que le présent, est sa fin. La liberté n’est donc pas son objet, mais seulement, quand il se peut, l’un de ses procédés ou de ses instrumens. Elle ne conçoit pas et ne combine pas le gouvernement pour les individus, mais pour la société, pour cette société, la nation. Elle n’est pas constamment sous le coup de l’hallucination individualiste ; elle a une vision à la fois plus nette et plus vaste. Ce n’est pas d’individus valant parce que tels et comme tels qu’elle se met en quête, ce n’est pas d’eux qu’elle fait le fondement des institutions ; mais bien des forces sociales qui sont en eux, dont ils sont les intermédiaires ou les conducteurs ; c’est sur ces forces sociales, sur ces fonctions sociales, non point sur les individus, qu’elle assied l’établissement constitutionnel.

Et quant à sa méthode, par opposition au romantisme qui part de l’idée, elle part du fait ; elle se soucie moins de la logique que de la réalité, et même elle s’en méfierait peut-être, car la réalité sociale est très complexe, mais la logique est souvent très simple, plus simple que la vie ; elle réintroduit parmi ses élémens les notions de temps et de lieu et réinscrit parmi ses conditions toutes les circonstances et toutes les contingences ; elle n’a la superstition ni de la monarchie, ni de la démocratie, ni du parlementarisme, ni du libéralisme toujours et quand même, ni de nul autre régime, ou de nulle autre doctrine supérieurs et nécessaires ; elle a horreur des mots, ou, plus exactement, elle tâche de ne les prendre que pour ce qu’ils sont et de ne pas prendre des phrases pour des idées, des idées pour des faits, et des fantômes pour des hommes ; elle n’est pas idéaliste, mais réaliste ; pas métaphysique, mais, si l’on peut le dire, physique ; pas théorique, mais historique. Et ici, après avoir touché le mal et la cause du mal, on en vient à apercevoir le remède. Quels sont les peuples qui grandissent ? ceux qui ont dans leur politique conservé et exercé le sens réaliste ; et quels sont les peuples qui restent stationnaires ou décroissent ? ceux qui se sont perdus dans le romantisme. La conséquence s’impose : et c’est que, rejetant le romantisme, il faut revenir à la politique réaliste.