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quelque côté que nous allions, nous empêcher de nous heurter. Égoïsme chez la grand’mère, qui, par timidité et souci de ses aises, a laissé s’effondrer les affaires de son petit-gendre, sombrer dans la faillite l’honneur du nom. Égoïsme chez les jeunes gens, qui n’ont songé qu’à eux seuls et ne se sont pas retournés pour voir la douleur qui s’accumulait derrière eux. Égoïsme, enfin, chez la mère elle-même, en sorte qu’à travers tous les déchiremens et toutes les souffrances elle ne poursuivait encore que l’espèce de bonheur où elle pouvait trouver la seule jouissance à laquelle elle fût accessible. C’est pour nous le suprême désenchantement. Telle est en effet la beauté de l’esprit de sacrifice : il suffit que nous en apercevions un rayon, la scène du monde en est aussitôt illuminée. Que cette lueur vienne à s’éteindre, la vie retombe à une morne désolation. Aussi, de tout temps, un même artifice a-t-il suffi aux pessimistes de toutes les écoles et de tous les tempéramens : ç’a été de nous faire découvrir, au fond des sentimens où il dissimulait le mieux sa présence, l’irréductible égoïsme.

Tel est ce drame vigoureux, puissant, atroce, mené avec une maîtrise dont on ne trouverait guère l’analogue dans le théâtre de ces dernières années et à laquelle M. Paul Hervieu ne s’était pas encore élevé. On suit l’auteur, de gré ou de force, faute de pouvoir échapper à l’étau où il vous tient prisonnier, aux tenailles qu’il vous entre dans la chair. On subit son drame comme un cauchemar. Après quoi, le moment arrive de se reprendre et de se défendre. Les deux premiers actes ne soulèvent guère d’objections. Il n’en est plus de même à partir du troisième. Lorsqu’on nous montre Sabine voleuse et meurtrière, nous sentons en nous une sourde révolte. Je n’entends pas par là seulement que nous condamnons Sabine au nom de la morale, ce qui va sans dire ; mais nous nous révoltons au nom de la logique elle-même. Nous avons, dans la première partie de la pièce, envisagé les personnages de M. Paul Hervieu comme appartenant à la moyenne humaine, et c’est par là même qu’ils nous semblaient bien convenir à un drame réaliste et bourgeois. Sabine était une mère qui aime passionnément sa fille, comme c’est assez l’habitude des mères ; elle nous intéressait parce qu’elle ressemblait à beaucoup de mères que nous connaissons. Et voici qu’elle commet un vol, un faux, un assassinat ! Nous nous interrogeons nous-mêmes, nous descendons en nous : et nous avons beau faire et pousser jusqu’au bout la sévérité, nous ne nous sentons pas capables de jamais commettre ces horreurs. L’affection pour nos enfans est à coup sûr un sentiment très fort : il y en a pourtant un autre qui lui est supérieur. Dût notre enfant souffrir