Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le début, en sentir et presque en toucher la trame serrée et souple, sans ornemens ni broderies, mais sans défauts et sans trous. Quelque-fois (au commencement de l’Offertoire), il se tait, il abandonne les voix, mais pour revenir à elles par un retour qui surprend et attendrit. Ailleurs il se modère et se restreint volontairement. L’Offertoire doit quelque chose de sa gravité au silence des violons, à l’accompagnement exclusif des altos et des violoncelles. On sait que Méhul, autrefois, orchestra de cette manière son opéra d’Uthal, mais l’opéra tout entier ; d’où la fameuse exclamation de Grétry : « Je donnerais un louis pour entendre une chanterelle ! » Ici le même effet, moins prolongé, ne lasse pas.

Les harmonies de cette musique sont exquises : fines sans maniérisme, originales sans bizarrerie. J’aime, au commencement de l’Offertoire, les deux parties vocales sans accompagnement (contraltos et ténors) qui croisent leurs mouvemens élégans et leurs lignes pures ; j’aime, quelques mesures après, une modulation inattendue qui surprend l’oreille, mais ne la déconcerte ni ne la blesse, et cette défaillance d’une note, une seule, qui s’infléchit et fait non pas tomber, mais glisser doucement la phrase de la mélancolie vers la douleur.

Enfin, dans le Requiem de M. Fauré, la mélodie elle-même a son prix. Formelle toujours, sans jamais se réduire ou se répéter en formule, elle est partout organisée et construite. Le Kyrie pose avec douceur et porte avec fermeté sur la tonique et la dominante. Exquis de sentiment, le Pie Jesu (pour soprano seul) est un petit chef-d’œuvre de structure et de développement mélodique, d’ordonnance, d’équilibre et d’eurythmie. Je ne vois à lui comparer, peut-être même à lui préférer, que le beau solo de baryton pendant l’Offertoire : une page où le style de M. Fauré, son meilleur style, se reconnaît et pourrait aisément se définir. Des harmonies serrées et fines se fondent les unes dans les autres par des nuances dégradées et de presque insensibles passages. Au-dessus, une lente et longue mélodie se déroule, faite des notes moyennes de la voix, de notes à la fois peu nombreuses et peu distantes. Elle se meut, cette mélodie, sans hâte et sans écarts ; elle use avec calme, avec modération, et du temps et de l’espace. Ainsi procède volontiers la phrase vocale de M. Fauré, non seulement ici, mais ailleurs encore, et cette restriction du champ ou de l’ambitus mélodique, donne à l’œuvre tout entière un caractère de réserve et de retenue, le charme subtil du recueillement et de l’intimité.

Car ce Requiem ne conviendrait pas à toutes les funérailles. Il ne siérait pas davantage à toutes les douleurs, ni même à toutes les