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de plus qu’un seul maître vivant, et Français, peut supporter le plus terrible voisinage. Le rapprochement n’eût été, pour tout autre, qu’un mauvais procédé ; pour M. Saint-Saëns, il est une attention délicate, un hommage dont la hardiesse n’a d’égale que la légitimité.

« Sérieusement, disait à certain critique de notre connaissance une dame abonnée, est-ce que vous trouvez cela très beau ? Oui, je sais bien, il y a une petite chose qui revient tout le temps. » Mais justement le propre et le fond d’une symphonie, c’est qu’ « une chose » y revient tout le temps. Et la « chose » ici n’est pas si petite, puisqu’une telle œuvre, presque tout entière, y est d’abord contenue, puis en sort. Il n’existe peut-être pas une autre symphonie, ancienne ou moderne, dont l’unité soit plus rigoureuse. L’idée première, encore une fois, embrasse et soutient ici l’ensemble. Elle est, — excusez l’incompatibilité de ces termes, — en même temps le centre et la circonférence de l’œuvre ; elle en établit, en résume la construction et l’expression, et partout


invisible et présente,
Elle est de ce grand corps l’âme toute-puissante.


Toute-puissante, mais toujours changeante aussi. La vie dont elle est animée prend les formes les plus diverses, et l’identité de son être se joue et tour à tour se dérobe et se révèle sous la variété infinie des modes ou des apparences. On sait, l’œuvre étant aujourd’hui classique, comment le thème se présente, agité, tremblant, au début du premier morceau. Dans l’adagio, grave et par momens douloureux, il défaille, se disjoint et se brise. Il se répand sur le scherzo en poussière étincelante. Enfin, d’un bout à l’autre du dernier morceau, il s’accroît, se fortifie et s’élève jusqu’au sublime, dans une gloire d’apothéose.

Sans compter que le thème souverain, s’il ne reconnaît pas d’égaux, hormis peut-être l’admirable motif de l’adagio, tolère pourtant des sujets ou des serviteurs. Il règne et même il gouverne, mais les thèmes auxiliaires et dérivés gardent, sous sa loi supérieure, non seulement leur place, mais leurs droits.

Il y a dans cette symphonie quelque chose d’aussi beau que les élémens, les sommets ou les repères : ce sont les « passages, » comme disent les peintres, qui les relient entre eux, et conduisent d’un plan ou d’un ordre à un autre, mélodique, harmonique ou instrumental, notre oreille et notre esprit. Rappelez-vous la transition du premier morceau à l’adagio, comment elle se prépare et s’accomplit : peu à peu les sonorités décroissent, le mouvement se ralentit, les notes s’abaissent