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son Parlement, s’était bien vu forcé, au mois d’avril 1701, de reconnaître Philippe V ; mais le populaire anglais, surexcité par la publication de documens d’une authenticité pour le moins douteuse, entre autres par certains projets de descente des Jacobites en Angleterre, soi-disant découverts par la surprise d’une lettre à la poste, se prononçait de plus en plus vivement contre la France. Les Hollandais, de leur côté, devenant chaque jour plus méfians, mettaient à leur neutralité des conditions qui faisaient dire avec raison au Duc de Bourgogne, dans une lettre à Mme de Maintenon : « Ce n’est pas une marque qu’ils veuillent la paix, »[1] et que Louis XIV livrait à la publicité « pour faire voir à toute l’Europe le ridicule de leurs prétentions[2]. » L’empereur Léopold avait envoyé au printemps le prince Eugène en Italie, et son armée était déjà aux prises avec celle que commandait Catinat. Dans ces conjonctures délicates, il était capital de ne pas fournir d’alliés à l’Empire et de ne pas donner prétexte à l’intervention d’une coalition nouvelle. Malheureusement, Louis XIV n’eut pas cette prudence, et ce fut précisément ce prétexte qu’il fournit, à la mort de Jacques II (septembre 1701), en reconnaissant son fils le prince de Galles comme roi d’Angleterre.

Cette faute de Louis XIV est demeurée en quelque sorte classique. Elle est relevée avec complaisance dans tous les manuels d’histoire, et nous-même l’avons signalée. Il ne faut cependant pas la grossir et s’en aller, comme l’ont fait les historiens. Anglais ou Allemands, hostiles à la France, répétant sans contrôle les assertions à la fois superficielles et exagérées de Saint-Simon. « C’étoit, dit celui-ci dans ses Mémoires, offenser la personne du roi Guillaume par l’endroit le plus sensible et toute l’Angleterre avec lui et la Hollande à sa suite ; c’étoit montrer le peu de fond qu’ils avoient à faire sur ce traité de paix (le traité de Ryswick), leur donner beau jeu à rassembler avec eux tous les princes qui y avoient contracté sous leur alliance et de rompre ouvertement sur leur propre fait, indépendamment de celui de la maison d’Autriche[3]. » Or, nous savons aujourd’hui ce que Saint-Simon a ignoré, c’est que les anciens confédérés de la ligue d’Augsbourg n’avaient pas attendu la mort de Jacques II et la reconnaissance du prince de Galles pour se rassembler, et que,

  1. Correspondance générale de Mme de Maintenon, t. IV, p. 422.
  2. Dangeau, t. VIII, p. 67.
  3. Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 290.