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de mal qu’il tache à nous en faire. J’avoue que je fus fort soulagé quand j’apris que le Roy avoit déclaré qu’il reconnoitroit le prince de Galles, et quoyque je n’en doutasse pas, j’en témoignai ma joie à tout le monde. Je suis persuadé que vous n’en avés pas esté fâché non plus[1]. »

Qui pourrait reprocher à un jeune prince cette joie généreuse ? Il semble même qu’on lui en voudrait un peu si déjà le politique l’avait emporté chez lui sur l’honnête homme, nous dirions aujourd’hui l’homme d’honneur. Peut-être aussi un sentiment plus personnel se mêle-t-il à sa joie. Il n’est pas fâché que la colère du roi Guillaume rende inévitable cette guerre que, par scrupule de conscience et craignant que ce ne fût pas le bien du royaume, il se défendait de désirer. Il sait qu’il y aura part, et son jeune sang bouillonne dans ses veines à cette idée. « Enfin, mon cher frère, écrivait-il au même Philippe V, quelques mois après (6 février 1702), mon sort est décidé. Le Roy me dit hier que j’irois commander l’armée de Flandres en cas qu’il y ait guerre et que je pouvois en être assuré… Jugés de la joie que j’ay présentement, étant assuré d’aller cette année à la guerre, car il est convenu qu’elle va bientôt se déclarer, et étant peut-être à la veille de partir. Quel plaisir ce seroit pour moy de vous escrire une lettre le lendemain d’une bataille gagnée contre les ennemis ! Je crois que vous prendrés un peu de part à la joye où je suis présentement[2]. »

Ardeur belliqueuse, rêves de gloire, voilà des sentimens dont on aime à trouver l’expression sous la plume du Duc de Bourgogne et qui, avec l’idée qu’on se fait généralement de son caractère, étonnent tout d’abord un peu. Mais il ne faut pas le juger exclusivement par ses lettres à Beauvilliers ou à Fénelon qui sentent l’ancien élève, encore timoré quand il s’adresse aux maîtres de sa jeunesse, et porté à les entretenir presque exclusivement de ses scrupules et de ses dévotions. « Ne croyez point au moins, écrivait-il un jour à Beauvilliers, que c’est à cause de vous que je mets toujours un petit mot de Dieu dans mes lettres, mais c’est que je sens toujours un plaisir infini à en parler[3]. » Sans doute il éprouvait un plaisir infini à parler de Dieu ; mais

  1. Mémoires secrets du Marquis de Loufille, t. I, p. 198.
  2. Ibid., t. I, p. 217.
  3. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvilliers, par le marquis de Vogué, p. 113.