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et, accordant un coup d’œil à chaque essai, n’accorde pas à ceux qui méritent une longue attention, la justice qui leur est due. Et c’est ainsi que le principe des anciens Salons fermés, si longtemps combattu par Planche, par Thoré, par Castagnary, redevient le principe sauveur de la plus novatrice des deux sociétés. Mais, là où l’échec des théories modernistes est le plus notoire, c’est dans la statuaire. Vainement a-t-on suggéré à nos sculpteurs la pensée, l’obligation et le moyen de représenter les costumes du temps et les faits de notre civilisation. Leurs efforts n’ont abouti qu’à des exhibitions d’ « hommes de bronze, » à peine supérieures à celles des fêtes foraines. Et, au contraire, les traditions les plus raillées par les théoriciens naturalistes, le « nu » et le « drapé, » trouvent dans les ouvrages de marbre les plus considérables exposés aux deux Salons de 1901, et précisément par les novateurs les plus audacieux, une nouvelle et singulière justification. Quelle peut bien en être la cause ? Pourquoi cet échec des tentatives réalistes et ce retour aux anciennes formules statuaires ? C’est ce que nous apercevrons assez facilement, pour peu que nous y prenions garde, et ainsi les Salons de 1901, à défaut de chefs-d’œuvre à admirer, ne manqueront pas d’enseignemens à recueillir.


I

Quand les premiers chrétiens débarquaient pour la première fois dans les villes de la civilisation païenne, ils étaient stupéfaits du nombre des statues qu’ils y voyaient. Les héros, les ancêtres, les dieux, le monde antique tout entier, étaient là, dressés, en bronze ou en marbre, en apparence indestructibles. Et les pieux missionnaires n’étaient pas loin de croire que, dans chacune de ces statues, il y avait un démon. C’est, aujourd’hui, un sentiment semblable de stupeur qui doit saisir le campagnard quand il entre dans nos villes ou lorsque, errant sur le balcon du grand hall des Champs-Elysées, il jette un regard sur ce peuple de marbre.

Depuis le temps de Lysippe, on n’avait vu tant de statues embarrasser les places publiques. Jamais n’avait passé sur ce pays un tel souffle commémoratif. Plus de cent quinze statues furent érigées en France de 1870 à 1885. Un idéal inexpliqué d’hommages coûteux et d’inaugurations réparatrices hante les