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qui nous les révèlent. Si elles parlent, c’est seulement par le langage simple et puissant, mais élémentaire, des formes que l’art leur a données.

Si commune et si connue que fût cette vérité, les philosophes de notre temps l’ont oubliée. La confiance qu’ils ont dans les destinées intellectuelles de l’art leur a fait généralement adopter le point de vue de Guyau. On a tenu pour établi d’abord qu’il n’y avait pas de loi absolue en art et que, par conséquent, aucune forme ne devrait être proscrite de la statuaire contemporaine : ensuite, que tout ce qui est utile peut devenir beau et qu’ainsi tous les outils inventés par l’industrie moderne. tous les vêtemens nécessités par le confort contemporain avaient droit à la même place dans l’art que le cheval de Phidias ou que la toge de Décius.

On décida de les immortaliser. Les sculpteurs devinrent les copistes des tailleurs. Montrouge et Montmartre reçurent des modèles du quartier de l’Opéra. C’est ce que l’on appelait se libérer de la tyrannie de l’école. Les places publiques d’Europe, depuis Glascow jusqu’à Naples, se couvrirent de bronzes fixant pour l’éternité la coupe de la redingote, et, au Campo-Santo de Gênes, les artistes italiens, prenant leur revanche sur Thorwaldsen, firent éclater, dans le marbre fouillé par leurs ciseaux insidieux, la gloire des vestons à carreaux, des bottines vernies, des chapeaux mous, des cravates Lavallière, des breloques, des dentelles et des volans semés de larmes, récitant les prières des agonisans. Ce que la beauté des villes put gagner à cette exhibition ou à cette solidification des modes modernes, il suffit, pour en juger, de suivre à Paris, d’un bout à l’autre, le boulevard Saint-Germain. Mais ce parti répondait si bien au désir moderne « d’intellectualiser » la sculpture, que nos meilleurs esprits et les plus délicats ne voulurent point en sentir la monstruosité. « Les vieilles timidités sont décidément surmontées, s’écriait joyeusement, il y a six ans, M. Larroumet. Nos sculpteurs ne croient plus qu’il soit nécessaire de draper à l’antique des personnages qui ont porté le costume moderne ; ils estiment que celui-ci peut avoir sa poésie. Cette victoire du réalisme dans la sculpture est en train d’aller fort loin. Elle a commencé par le costume militaire, d’assez bonne heure ; on a renoncé à déshabiller les héros, sous prétexte de noblesse sculpturale. Puis on a osé conserver leurs costumes à des personnages civils. On n’aurait plus aujourd’hui