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l’idée bizarre de représenter Napoléon Ier les jambes nues, comme l’a fait Chaudet pour la colonne Vendôme, et Racine enveloppé d’un drap de laine, comme celui de David d’Angers à la Ferté-Milon[1]... » Cela paraissait définitif.


Il

Maintenant promenons-nous, un instant, dans les parcs à sculptures de ces deux Salons. La première chose que nous constaterons, c’est que M. Rodin a dépouillé Victor Hugo de ses vêtemens modernes, comme Chaudet avait fait Napoléon et que « l’idée bizarre » de représenter un contemporain « les jambes nues » non seulement a survécu à Chaudet ou à David d’Angers, mais s’est revivifiée dans le plus puissant des novateurs.

Il y aurait beaucoup à dire du Victor Hugo de M. Rodin et le moins que la critique puisse suggérer devant lui, c’est qu’une belle ébauche n’est pas un chef-d’œuvre, ni même toujours la promesse d’un chef-d’œuvre. Car, s’il est une vérité acquise en art, c’est que les qualités essentielles d’une prestigieuse esquisse se conservent difficilement quand l’œuvre avec tous ses détails est achevée. Conserver la synthèse naturelle de l’ébauche tout en développant l’analyse, garder l’enveloppe du monument en assurant la multiplicité des plans, les variétés d’aspects qui font la statue, c’est assurément le difficile problème, mais c’est aussi la tache expresse de l’artiste. « On ne gâte pas en finissant, quand on est grand artiste, » a écrit Delacroix[2]. Et, lorsque, pour s’en dispenser, on laisse entendre que le grand art consiste à réaliser seulement les qualités de l’ébauche, on ne fait que remplacer par une théorie ingénieuse l’absence de pratique et qu’ajouter à un défaut de réalisation une erreur de raisonnement.

On pourra donc regretter les inégalités du Victor Hugo, depuis la tête admirable et puissante qui rappelle invinciblement celle du Soir que tous les visiteurs de Florence ont vue dans la froide sacristie de San-Lorenzo, jusqu’aux pieds mous et ronds, perdus en une succession de contours flottans et nuageux. On s’étonnera du modelé singulier des omoplates. On se demandera ce qu’un prochain avenir pensera des enthousiasmes qui entourèrent le Balzac, qui entourent le Victor Hugo, si ces enthousiasmes

  1. Gustave Larroumet, L’Art et l’État en France, 1895.
  2. Journal d’Eugène Delacroix, t. III, année 1859.