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historien, chimiste, — une élégance ou bien une agitation qu’un modeste et paisible savant n’a jamais eues : il n’arrivera pas à traduire les inflexions délicates et subtiles du corps. Il ne trouve pas dans l’enveloppe moderne les élémens nécessaires à son œuvre. L’artiste qui veut traduire le corps humain par la redingote, c’est un écrivain à qui l’on donnerait pour traduire du Bossuet le code des signaux maritimes ou l’Esperanto.

Nous touchons ici à la loi esthétique fondamentale du vêtement humain. Il est esthétique dans la mesure où il est révélateur. La draperie, elle, révèle trois choses : ou bien la forme du corps, — quand elle adhère au corps sous la pression de l’air ou qu’elle est serrée par un nœud, comme dans les trois Parques du Parthénon ; — ou bien elle révèle son mouvement, quand elle flotte et suit le geste qui l’anime, comme dans les combattans du sarcophage de Sidon ; — ou bien, à la fois, sa forme et son mouvement, quand elle adhère au corps et se déroule en le suivant, comme dans la Victoire de Samothrace. Le pli tombant est également indicateur de grandes lois naturelles. S’il tombe droit, comme dans maintes figures des portails de nos cathédrales, il marque la loi de gravitation. S’il ne tombe pas droit, mais par sursauts, il marque à la fois la loi de gravitation et la forme du corps humain, c’est-à-dire la lutte infiniment complexe entre la pesanteur qui veut des lignes verticales et la résistance qui veut des lignes horizontales. S’il ne tombe pas du tout, s’il flotte, il marque le mouvement de ce corps et la force de l’air.

En regard de ces indications subtiles, mais très précises, perçues par l’esprit inconsciemment, en regard de ces phénomènes éternels, — les plus hautains individualistes nous permettront-ils de dire de ces « lois » éternelles qui régissent la vie ? — examinons ce que marque la redingote, c’est-à-dire le vêtement ajusté ? Il ne marque rien. Il ne révèle pas le corps, puisqu’il le cache sous une carapace de même diamètre, là où la nature a modelé des épaisseurs de proportions très variables. Il ne révèle pas le mouvement, puisqu’il est construit précisément en vue d’éviter les plis, qu’on appelle tous des « faux plis » et qu’il faudrait un désordre inouï dans l’âme d’un homme pour qu’il s’en manifestât un quelconque dans sa toilette. Il ne marque pas la marche, trop lourd pour flotter et d’ailleurs retenu par les boutons, qui sont les gendarmes du costume moderne. Aux jarrets, il est rectificatif de la nature et, — jambes de coq ou mollets d’Hercule,