Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entrepreneurs de spectacles de mettre à la scène aucune pièce qui n’aurait pas été préalablement soumise au visa du ministère de l’Intérieur ; étude des moyens propres à éloigner de Paris « la grande quantité de réfugiés italiens et d’étrangers qui s’y, trouvent sans aucun moyen de subsistance[1], » à se défaire de cette tourbe cosmopolite, à renvoyer de France les émigrés rentrés dans le département de la Seine sans s’être mis en instance régulière de radiation. Enfin, par avis expédié des Tuileries, Fouché était invité à dresser une liste d’une cinquantaine d’individus, agitateurs de métier, révolutionnaires incorrigibles, meneurs des anciennes émeutes ; ceux-là semblaient bien destinés à la déportation, à l’internement en lieu sûr et lointain. Pour la première fois, Bonaparte se préparait à écraser le jacobinisme récalcitrant.

Il importait toutefois que ces mesures n’accréditassent pas l’idée d’un grand danger public ; il était essentiel de rassurer et d’affermir l’opinion Bonaparte s’en chargea personnellement ; tandis que ses journaux raillaient la naïveté des badauds qui en étaient encore à se croire au temps des conspirations, il s’en alla le soir au Théâtre-Italien à pied, sans escorte, tout seul, en simple bourgeois de Paris. Les gardes placés à la porte du théâtre ne le reconnurent pas d’abord ; ils voulaient écarter ce particulier qui prétendait entrer sans payer sa place ; ils s’arrêtèrent confondus de leur méprise, en voyant tout le monde reconnaître Bonaparte et s’indigner bruyamment. Lui, passa tranquillement, entra dans la salle, en jetant ces mots : « Voilà beaucoup de bruit pour peu de chose ; » et tout Paris de se répéter le lendemain l’anecdote, d’applaudir à ce gouvernant qui n’avait pas peur et qui savait communiquer autour de lui sa confiance brave.

Fouché était accouru aux Tuileries ; il trouva le Consul au milieu de ministres et de conseillers d’Etat, qui s’entretenaient avec vivacité des mesures convenues. Qu’on expulsât les émigrés, Fouché n’y voyait aucun inconvénient, à la condition que la chose se fît avec discernement ; quant à toucher aux Jacobins, à cette réserve de l’armée révolutionnaire, il jugeait la mesure impolitique et funeste ; il prit audacieusement la défense de ces hommes et se porta leur garant : « Général, je vous réponds d’eux[2]. »

  1. Correspondance de Napoléon, VI, 4707.
  2. Rœderer, III, 369.