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se réunir et qu’on en viendrait à bout ; qu’alors chacun serait bien placé[1]. » Loin de ces deux partis tranchés, royalistes et anarchistes, un troisième existe ; recruté dans le haut personnel gouvernemental, installé dans les meilleures places, il se tient à l’état d’observation et d’attente ; c’est celui qui n’annonce pas ses intentions, celui qu’on ne sait comment nommer : l’autre.

Tous les rapports de la police préfectorale vont pourtant le désigner d’un nom, ils l’appelleront quotidiennement : le parti orléaniste. Ils y placent Sieyès et, à ses côtés, des tribuns, des députés, des sénateurs : tous orléanistes. D’une locution passée en usage depuis le début de la Révolution et eh quelque sorte traditionnelle, doit-on induire que Sieyès et ses amis eussent lié partie avec un prince de la branche cadette, avec un Bourbon à côté, pour le substituer à Bonaparte ? Chez eux, il y avait moins dessein arrêté que velléité permanente, orientation commune de désirs et de tendances, état d’esprit.

Rœderer les qualifiait assez justement de brumairiens mécontens. Parmi les hommes qui avaient conçu l’opération de Brumaire, avant le retour d’Égypte, plusieurs envisageaient, comme but final, l’établissement d’une royauté constitutionnelle par substitution de branche ou de dynastie ; en dehors d’un roi couronné de leurs mains, subordonné à leur influence et pourtant reconnu par l’Europe, ils n’apercevaient point de garantie permanente et stable pour l’oligarchie révolutionnaire ; pour finir la Révolution, dirait plus tard un homme exprimant l’opinion de toute une classe, « il faut un roi créé par elle[2]. » L’entreprise préparée au profit d’un parti ou au moins d’une caste, Bonaparte la faisait dévier au profit de ses ambitions personnelles et aussi de toutes les classes ; c’est pourquoi quelques-uns de ses anciens auxiliaires songeaient maintenant à reprendre sans lui et contre lui la conception primitive. Subissant le Consulat, ils appelaient de leurs vœux un régime moins despotique et plus exclusif, moins national et plus parlementaire, moins brillant et plus paisible ; au parvenu hasardeux et conquérant qui risquait sans

  1. Rapport de police, 25 floréal. Archives nationales, AF, IV, 1329.
  2. Paroles de Champagny à d’Antraigues, en avril 1802 ; Champagny ajoutait : « J’ai vu, il y a quinze mois, une quantité de sénateurs, de généraux, même des ministres, prévoir cet événement… Mais je n’ai vu balancer qu’entre deux personnes, le Duc d’Enghien et le Duc d’Orléans. » L. Pingaud, Un agent secret sous la Révolution et l’Empire, 226-227.