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de ces anciens avait cent quatre ans, et il se trouva qu’en ce jour le vainqueur de Marengo décora peut-être un combattant de Fontenoy.

La scène se transporta finalement au Champ de Mars. Sur les tertres formant rebord des deux côtés et s’élevant en gradins rustiques, la multitude s’était entassée ; dans le milieu, le scintillement des baïonnettes, l’alignement des troupes et des gardes nationales, encadraient un bataillon sacré, une redoute vivante, pavoisée de drapeaux conquis ; vingt-trois drapeaux autrichiens, bariolés, armoriés, tenus par des grenadiers de la garde consulaire arrivés le matin même d’Italie et encore en tenue de campagne, sac au dos. Bonaparte se fit présenter les trophées, passa en revue les troupes. Ensuite, il devait y avoir jeux renouvelés d’Olympie ; dans une lice tracée par des poteaux et des cordes, courses à pied, courses de chevaux, courses de chars, montés par des jeunes gens de la ville en pur costume de jockeys anglais, car l’antiquité et l’Angleterre se disputaient bizarrement les faveurs de la mode ; les vainqueurs recevraient en prix des armes de la manufacture de Versailles, des porcelaines de Sèvres, et l’ascension d’un aérostat terminerait la fête. Mais le peuple se souciait peu des courses et voulait voir Bonaparte. Sous la lumière crue, dans l’éblouissement des couleurs et des mouvans spectacles, c’était vers lui que tendaient tous les regards ; du plus loin, ils cherchaient à distinguer, en tête de l’état-major, et plus tard au balcon de l’Ecole militaire, dans le miroitement des dorures officielles, la mince silhouette consulaire, le point rouge, le point magnétique, vers lequel s’élançait électrisée l’âme de la France. Une immense poussée de foule se fit, rompit le cordon des troupes, envahit la lice, renversa les poteaux et les cordes, déborda jusqu’à la façade de l’Ecole, dans une furie d’acclamations ; devant cette tempête populaire, il fallut remettre à un autre jour l’achèvement du programme, et la journée finit dans un grand tumulte d’enthousiasme. Le soir, tandis que le peuple battait des mains devant les illuminations officielles, le Premier Consul réunit à dîner les premiers personnages de l’Etat, mais il avait eu soin d’inviter aussi les cinq invalides qu’il avait médaillés ; des voitures consulaires allèrent prendre ces vieux braves et les amenèrent aux Tuileries. On entendit à nouveau des paroles officielles, des toasts à la victoire, aux armées, au héros de Marengo, à la paix, à la constitution, au gouvernement de