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que Prescott l’historien, et le grand orateur Daniel Webster ; il était en rapport avec le phalanstère de Brook Farm où les chimériques réformateurs que peignit si bien Hawthorne, dans son Blithedale romance, préludaient à une ère nouvelle par des excentricités d’idéalistes, tout à fait différentes de certaines licences, qui ailleurs accompagnèrent le même mouvement : cette austérité un peu farouche, presque toujours inséparable, chez les Anglo-Saxons, des époques d’effervescence intellectuelle les défendait. La plupart d’entre eux fréquentèrent beaucoup à Boston la librairie fondée par miss Elisabeth Peabody dont un de ses amis a dit joliment qu’elle était toujours occupée à satisfaire chez les autres quelque besoin qu’il lui fallait préalablement créer. Nerveuse, agitée, elle trouva sa voie définitive, en se consacrant aux enfans et à l’intelligente application de la méthode Frœbel. Sa petite bibliothèque étrangère, prise sur l’espace qu’occupait la pharmacie homéopathique de son père, le docteur Peabody, fut certainement une des influences éducatrices de Boston. Là, Thomas Higginson, après s’être pénétré de Jouffroy et de Cousin, s’enivrait des Paroles d’un croyant ou du Livre du peuple, puis se laissait emporter vers l’Allemagne par Jean Paul et Heine. Toutes ces influences et bien d’autres se retrouvent dans son œuvre, quelquefois au détriment de l’originalité. Il lui manque, semble-t-il, de s’être approprié cette leçon de son maître Théodore Parker qu’il a transcrite au milieu de beaucoup trop nombreuses citations : « Le savoir n’est pas une accumulation, mais une assimilation... Toute la science du monde ne vaudrait rien si elle devait nuire à la qualité de la pensée. » L’excès de lecture insuffisamment digérée se révèle chez nombre d’Américains très cultivés. Pour pouvoir lire davantage, Thomas Higginson avait entrepris de supprimer la nuit, mais le sommeil finit par être le plus fort.

Quelquefois tous ces jeunes utopistes se réunissaient chez un des leurs, ardent fouriériste, qui avait au-dessus de sa porte un soleil d’or avec la devise : (c Unité universelle. » Malheureusement une inscription en blanc et noir portait au-dessous : « Essuyez vos pieds, s. v. p. »

Comment, au milieu de ce genre de vie, l’idée vint-elle à Higginson d’entrer dans le ministère ecclésiastique ? Il est difficile de le comprendre pour qui ne sait pas combien la fraction de ce ministère, dite libérale, s’était dès lors sécularisée. Il avait été