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— Non, monsieur, je suis parti sous les auspices de John Brown.

Enthousiasme des enfans en reconnaissant le ton de leur père : — Comme c’est bien lui !

L’histoire a enregistré les expressions frappantes de foi et de dévouement qui touchèrent les ennemis mêmes de l’accusé. Pour sa famille, rien n’est imprévu ni nouveau. Il parlait toujours ainsi.

Les souvenirs s’épanchent : Voilà les livres qu’il lisait... Voilà son portrait, ses lettres, celle qu’il écrivit la veille de la défaite à sa fille Annie âgée de seize ans, lui recommandant de devenir d’abord une sincère, humble et fervente chrétienne, et puis d’acquérir l’habitude des affaires... — Le vieux Puritain est là tout entier.

La dernière petite fille, cinq ans, apporte son trésor personnel, une Bible, sur le premier feuillet de laquelle une grosse écriture ferme, celle du père qu’elle n’a guère connu, car depuis sa naissance il travaille dans le Kansas, a tracé des conseils.

Brown fréquentait l’église presbytérienne, quoiqu’il regrettât d’y entendre trop rarement le ministre maudire l’esclavage. D’ailleurs, il détestait les phrases et les discours, étant convaincu de la nécessité de régler les questions d’une façon directe et d’appliquer pratiquement les théories. Ce fut ainsi qu’au dernier moment, il se passa de ses amis, les grands esprits de Boston, et prit à lui tout seul un arsenal. Sa famille le secondait de son mieux, se privant, jusqu’à la plus extrême pauvreté, laissant tout à « la cause. » Un des derniers soins de John Brown fut d’envoyer à sa femme quinze dollars pour payer ses contributions. Il n’y avait jamais un sou dans la maison, sauf une petite réserve pour les timbres-poste.

Le lendemain, dans le train du chemin de fer, un journal apprend à Mrs Brown l’arrêt fatal. Elle ne montre aucune faiblesse, courbe la tête seulement pendant quelques minutes et, quand elle la relève :

— J’ai eu treize enfans, il ne m’en reste que quatre, mais si je dois voir la ruine de ma maison, j’espère que la Providence en tirera quelque profit pour les malheureux esclaves.

Elle avait raison d’espérer ; deux ans après le nom de son mari sonnait à coups redoublés dans le chant de guerre des soldats de l’Union marchant, à travers ces mêmes défilés de montagnes, vers le triomphe.