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l’avoir aboli. Ces injures d’ailleurs ont du bon. Elles décolonisent de plus en plus les Etats-Unis.

L’un des souvenirs les meilleurs qu’ait gardés Higginson de son séjour en Angleterre paraît être pour le cardinal Manning rencontré dans un meeting relatif au régime des prisons : « Le type par excellence de l’ecclésiastique : tout chez lui, jusqu’à la forme de la tête marquait le développement de cette fonction,... le front noble, la joue mince et ascétique d’un homme chez qui tout ce qui n’appartient pas aux sphères supérieures de la pensée et de l’action est visiblement retranché ; la bouche d’une mobilité singulière, la voix séduisante, persuasive au suprême degré. Son accent n’avait rien de spécialement anglais. On eût pu le prendre pour un Américain, ou pour un Français, pour un Italien ou même pour un Allemand très cultivé. Je sentis que j’avais devant moi un homme du monde dans le sens le plus élevé du mot, ou plutôt un homme de tous les mondes... Ses convictions étaient larges et humaines, il les exprimait avec une courtoisie à la fois généreuse et dominatrice qui désarmait l’opposition. Plus tard en lisant ses Mémoires, je vis quelles limites avaient dû lui imposer son tempérament et son éducation, mais sa merveilleuse carrière d’influence en Angleterre me fut suffisamment expliquée par ce discours unique au congrès des prisons. Si j’avais à prononcer une apologie de l’Église catholique, l’argument le plus fort, à mon avis, serait le pouvoir qu’elle possède de développer et d’exalter au premier rang un homme tel que celui-ci. L’individu que je placerais auprès de lui, et peut-être même au-dessus, est un prêtre français rencontré par hasard dans une des grandes cathédrales du continent, et dont je ne sais même pas le nom, mais dont le visage, la voix, les manières m’ont laissé une impression si profonde, que si je m’éveillais un matin avec le fardeau de quelque grand crime, je voudrais traverser l’Océan pour le lui confesser. »

La reine a produit aussi beaucoup d’effet sur Higginson. Il la voit passer à Aldershot une revue de 16 000 hommes et reconnaît en elle une réelle majesté, tandis que les soldats lui présentent les armes et qu’éclate le God save the queen.

« Elle est petite, forte, avec un visage lourd qui n’est pas absolument agréable, mais malgré cela elle a une grande dignité d’attitude... On sent qu’elle tient ses prérogatives d’une main ferme. Je ne suis nulle part aussi ardemment républicain qu’en