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commanda l’état-major d’un gouverneur, fut historien naval et militaire, délégué à une foule de conventions, politiques et autres, enfin député au Congrès.

Les besoins d’une époque de formation le voulaient, alléguera-t-il, tous les citoyens en firent autant, il n’y a rien d’exceptionnel à cela. Aucun Américain, quelle que soit sa profession, ne se refuse au service public.

Je doute pourtant qu’il y en ait beaucoup qui en plus d’un demi-siècle ne puissent compter que cinq années à peine, pendant lesquelles ils n’aient pas travaillé au profit de l’État ou de la ville, parfois de tous les deux ensemble. Thomas Higginson est avec cela l’un des plus répandus parmi les conférenciers. De bonne heure il s’enrôla dans de longues tournées, lyceum courses, qui portent au peuple, jusque dans le Far West, les bienfaits du développement intellectuel. Je devrais en parler au passé plutôt qu’au présent, car la multiplicité des journaux et des entreprises théâtrales, a presque mis fin à ce système, dont la vogue fut jadis considérable. Higginson conte d’amusantes anecdotes sur ces conférences organisées dans les parties les moins civilisées des Etats, avec renfort de bals, de représentations dramatiques ou simplement de réclame commerciale pour se faire accepter. Il était comique de voir le nom d’Emerson accouplé à une soirée dansante, ou celui de Shakspeare servir à préconiser telle ou telle marchandise. Réclame, commerce, littérature, marchaient de front en s’entr’aidant. Higginson, cela va sans dire, prit la chose de plus haut, ne se proposant que l’éducation politique, morale et sociale de son auditoire. La question d’argent le touchait peu. Il lui suffit de posséder cette honnête aisance qui permet à la plume de courir quand il lui convient sur le sujet qui la tente ; la parole, qui seule procure l’avantage incomparable d’aborder le public, face à face, est pour lui une sorte de délassement, et il ajoute à ces conditions de bonheur le privilège sans prix d’une inextinguible espérance. « Jusqu’à la fin, dit-il, l’ouvrier en réformes sociales a des satisfactions que les autres ne connaissent pas. Ayant vu se réaliser tant de choses qu’on avait longtemps déclarées impossibles, il croit à l’accomplissement de tout le reste. Je tiendrais à vivre, par exemple, pour voir assurés l’arbitrage international, la réforme complète du service civil, l’établissement du libre-échange, l’égalité des sexes dans l’éducation et devant la loi, la transmission aux mains du peuple de