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REVUE DES DEUX MONDES.

II

La Chine comprend une masse de quatre cents millions d’êtres humains, étroitement unis par une communauté d’idées, — même histoire, même philosophie, mêmes lois, mêmes coutumes, même langue écrite dans ses dix-huit provinces, — tout cela presque vieux comme le monde. On a envisagé les moyens de sectionner cette masse : la tâche est impossible, désormais elle serait vaine. Outre que nos nations d’Europe, toujours divisées entre elles, trouveraient dès le début l’entreprise au-dessus de leurs efforts, les parties distraites, et instruites séparément, s’émanciperaient à la première révolution pour se rejoindre à la masse et jeter les conquérans à la porte à l’aide de leurs propres armes. Car il ne faudrait pas nous dissimuler ce fait, que l’un des résultats les plus clairs et les plus immédiats de cette majestueuse croisade de l’Europe coalisée contre la Chine au cours des derniers événemens, sera une sorte de consécration de l’unité de race déjà si forte dans le vaste empire du Milieu. Comme premier effet, nous le constatons, il en résulte la réforme, et la réforme avec toute chance de succès : désormais la nation connaît sa voie, comprend son péril, a pris en même temps conscience de sa force de résistance, il y a un but à atteindre : la force dans l’indépendance ; l’impulsion est donnée. L’homme qui, pour son peuple, incarne la toute-puissance, Kouanghsü, se place lui-même à la tête du mouvement et paraît savoir où il veut aller ; le programme qui doit l’y conduire et sur lequel, dans son inexpérience, il hésite encore est pour nous d’une simplicité extrême, il dit : « Abolir tout ce que la Chine a de mauvais et emprunter à l’Europe tout ce qu’elle a de bon, » — cela, naturellement, suivant l’appréciation chinoise. Pour peu qu’on ait quelque connaissance de la vie chinoise pratique, cette appréciation est facile à établir, au moins quant au côté matériel des réformes ; on peut déjà commencer par se rappeler que la Chine n’a pas encore acquis les nouvelles sciences de l’Europe, mais qu’elle se dispose à les acquérir et à les appliquer partout où il sera possible et où cela paraîtra avantageux. En est-elle capable, et quel chemin a-t-elle à parcourir pour y parvenir ?

Il y a trois catégories de milieu à considérer : le peuple, la classe lettrée ou mandarinat, le gouvernement.