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trouvons en présence d’une classe peu pratique ; c’est même incontestablement, nous le ferons observer en passant, au manque total de sens pratique chez cette classe, qui détient dans la nation le monopole de l’intelligence et de l’étude, qu’est dû le retard de la Chine dans les sciences : moins de superstition pour ses lettrés lui eût permis d’autres recherches, elle nous eût peut-être précédés de plusieurs siècles dans cette course vers le progrès. Tout ce qui regarde les besoins matériels du peuple, travail, commerce, industrie, sont choses qu’elle méprise : elle ne les connaît que pour les taxer ; de là, aussi, ce mépris qu’elle professe pour l’Européen, toujours actif, affairé et pratique. Les Chinois possèdent pour administrer la justice un code de lois, mais c’est bien plutôt la coutume ou le précédent qui priment, et ainsi une grande marge reste à la corruption, marge dont le mandarin ne se fait pas faute de profiter, car, n’étant que très insuffisamment rétribué, il lui faut de l’argent et il se fait payer tous ses services. Pourtant, il y a limite à tout, et cet homme a deux maîtres : le souverain et le peuple, l’un avec le pouvoir absolu, l’autre avec sa vox populi dont il n’use que rarement, tant l’impression en est durable dans ses effets restrictifs. Voici la manière dont il procède : qu’un fonctionnaire vienne à dépasser la mesure dans ses extorsions, que sa tyrannie soulève contre lui le ressentiment populaire, la foule court en tumulte le trouver à son tribunal, au milieu même de cette pompe quelque peu sordide du yàmen chinois, et, lui présentant avec respect une chaise à porteurs, elle l’invite à vouloir bien s’y asseoir ; puis, sans plus de cérémonie, elle le porte hors des murs de la ville et va le déposer dans la campagne : — cet homme n’est plus rien, c’est un fonctionnaire congédié par son peuple, et il est sans exemple qu’une sentence de ce genre ait été révoquée. Le mandarin, d’un autre côté, doit compter avec ses chefs hiérarchiques, des mains toutes-puissantes desquels dépend sa carrière : un mot de plainte dans un rapport au trône contre lui pour prélèvement irrégulier ou insoumission entraîne sa destitution sommaire. L’obéissance, à tous les rangs de l’échelle administrative, est passive, ce qui nous explique cette puissance absolue des vice-rois et des gouverneurs dans les provinces, bien que quelques-unes soient aussi éloignées de Pékin que le Caucase l’est de Paris. Donc, malgré sa majesté imperturbable, cette classe dirigeante, vue dans ses élémens séparés, demeure per-