Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

populaires. Certes, l’expérience lui a appris qu’il ne faut point juger notre peuple par ses journaux. On laisse tomber dans le wagon cette brassée de tisons enflammés, on descend l’instant d’après dans un lieu riant, habité par des citoyens paisibles ; mais, si l’on y regarde de près, même dans cet Éden, la lecture du papier féroce est pour beaucoup de braves gens l’exutoire où se satisfont des passions secrètes.

L’étranger relève encore ce signe particulier : lorsque les Français veulent instituer une commémoration nationale, ils choisissent l’anniversaire d’un égorgement ; et ils élèvent la statue de Danton en face de l’Ecole de Médecine. Les Anglais fêtent le jour où fut déjouée la Conspiration des. poudres. — « Mais, ajoute l’humoriste, il est permis de se demander si, dans n’importe quelle nation moderne, le fait que le Parlement aurait échappé à la destruction serait considéré, de notre temps, comme assez bienfaisant pour justifier la création de jours fériés. »

Trop ressemblant, hélas ! est le portrait du Gallus Gallo lupus. Peut-être le peintre n’a-t-il pas assez marqué le trait qui explique l’acharnement de nos luttes, ce qui en fait le danger, et aussi la noblesse. Toute guerre entre Français est une guerre religieuse, au sens le plus large du mot. Alors même que les passions confessionnelles ne viennent pas attiser le conflit, — et rarement elles en sont absentes, — il s’aigrit de tout le venin des querelles théologiques. On se bat pour des idées, et le Français fait de chaque idée un dogme, une catégorie de l’absolu ; nul supplice n’est assez rigoureux pour le mécréant qui défend le dogme contraire. Les intérêts sont âpres à la bataille, mais ils peuvent composer, pardonner : les dogmes ne composent ni ne pardonnent. Legs fatal de la Révolution, cette déchirure, peut-être irréparable, de la fraternité qu’elle proclamait ! Deux conceptions contradictoires de l’histoire nationale, des destinées de la patrie, de sa grandeur et de son bonheur, ont séparé les esprits en deux camps hostiles. Il y a des trêves trompeuses ; on se prend à espérer qu’après plus de cent ans, la fusion s’est opérée par concessions mutuelles ; sitôt que tombe sur les cœurs une goutte d’un réactif bien choisi, chacun regagne d’instinct son camp et reprend les vieilles armes sur d’immuables positions. Nous venons d’en faire une fois de plus la douloureuse expérience.

La Réforme produisit au XVIe siècle les mêmes effets. Je lisais naguère une vie de Samuel Champlain. En 1604, un vaisseau qui