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permanent de rébellion royaliste contre le Roi, catholique contre le Pape. Cela étonna de Berryer, le plus attaché en même temps que le plus respectueux des serviteurs de l’Exilé, professant pour lui un culte presque craintif. Il ne se décida pas sans de violentes hésitations, car il savait l’affliction que sa désobéissance apporterait à Frohsdorff et combien il ébranlerait le principe d’autorité auquel il voulait nous ramener en n’en tenant personnellement aucun compte : — « Non, c’est impossible, je ne puis pas entrer dans cette Chambre, je ne puis pas prêter serment à cet homme ! » répondait-il aux délégués de Marseille, en arpentant son cabinet. — Et, comme ils insistaient : « Je subis une véritable torture morale et physique, c’est un combat à mort qu’on me livre ! » Le coup qui le vainquit vint du P. Félix, qui, au nom du P. de Ravignan, fit appel à sa foi et à sa conscience chrétienne : il devint candidat assermenté à Marseille.

Les orléanistes se réunirent chez le duc Victor de Broglie. Thiers se prononça pour l’action : « Il ne faut, dit-il, jamais émigrer, ni à l’extérieur, ni au sein du pays ; l’opposition n’est pas incompatible avec le serment, la Constitution étant révisable. » Guizot jugea la question plutôt personnelle que générale, et chacun devait la résoudre selon sa conscience. Dufaure estimait qu’on devait continuer une réserve absolue. La réunion ne fut pas de son avis et, à l’unanimité moins deux voix, elle décida qu’on interviendrait aux élections soit par votes, soit par candidatures. Dufaure ne tarda pas à se laisser vaincre comme Berryer et accepta la candidature à Rochefort et à Bordeaux.

Les républicains, que tentaient les sièges assurés à Paris, se décidèrent encore plus vite. Carnot se déclarait prêt au serment qu’il avait refusé deux fois et conseillait de le prêter ; Garnier-Pagès, Marie et tous ceux de 1848 de même. Jules Simon seul ne se rendit pas : il avait brisé sa carrière de professeur plutôt que de sanctionner le crime victorieux, pouvait-il le consacrer douze ans après ? N’eût-il pas semblé qu’il s’était enveloppé de sa robe de stoïcien quand la durée du succès paraissait incertaine, et qu’il la rejetait quand il n’était plus raisonnable de croire à un écroulement prochain ? Quant à prêter un serment avec la restriction mentale de le violer, on ne pouvait attendre cette félonie de l’auteur du Devoir ! Et il allait à travers les réunions, la tête inclinée, les cheveux pendant comme des branches de saule, les yeux tristes, la voix larmoyante, recommandant la