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vertu. Il épanchait ses amertumes dans une lettre à Charras : « Tout le monde est pris du prurigo électoral. On ne rêve qu’élection, tout le monde veut être député ou faire des députés. quant à moi, je ne me résignerai pas à devenir un sous-Darimon. Puisqu’il a plu aux illustres Cinq d’entrer dans la danse et de se dire les représentans d’un parti qui les repoussait, le vrai serait de faire connaître hautement que le parti les repousse. » Une combinaison cependant lui sourit : « Faire entrer Lavertujon, qui a des chances à Bordeaux : peut-être déterminera-t-il un courant opposé à celui d’Ollivier. Car il y a vraiment danger de voir la jeunesse entrer dans cette voie qui cherche à concilier les plaisirs de la popularité et les avantages de la possibilité. Je leur ai dit en propres termes qu’ils demandaient aux républicains de se faire députés, afin de vendre la République le lendemain, comme leur patron (c’est-à-dire Emile Ollivier)[1]. »

On laissa Jules Simon. exhaler ses dépits ; on se félicita que son abstention rendît disponible un siège de plus, et on décida dans tous les camps qu’on agirait.

Instruit de l’assaut qu’on lui préparait, le gouvernement dut délibérer lui aussi sur la conduite à suivre. Persigny était tout à fait tranquille quant aux communes rurales : il y avait ses maires, par lesquels il comptait les tenir. Mais dans les grandes villes et à Paris, l’influence serait aux journaux. Il dit à l’Empereur : « Choisissez entre deux partis : ou laissez-moi supprimer les journaux révolutionnaires, ou autorisez-moi à les gagner en acceptant comme candidats à Paris leurs représentans. » L’Empereur avait préféré ce dernier parti et Persigny était entré en pourparlers avec Guéroult et Havin. À ce qu’il insinue, ils ne se montrèrent pas inaccessibles, mais, au dernier moment, l’Impératrice, « en vue de quelques individualités, se jeta à la traverse de ce qui avait été arrêté et convenu, alors qu’il n’était plus temps de retourner à une autre alternative et de supprimer les journaux dont les rédacteurs, repoussés par le gouvernement, retournèrent à l’ennemi, et les élections de Paris furent perdues[2]. »

Il est regrettable que Persigny n’ait pu pratiquer l’un ou l’autre de ces deux systèmes. Ils eussent été aussi inefficaces l’un que l’autre. Les journaux révolutionnaires, s’ils s’étaient laissé

  1. 17 août 1863. Cette lettre m’a été communiquée en 1864 par Charras, indigné de la volte-face de son ami.
  2. Persigny, Mémoires, p. 397.