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d’une simplicité extrême, reposait sur un petit lit de fer dans la pièce la plus modeste de son superbe hôtel.

Enfant adultérin, il avait été obligé de conquérir son nom ; dépourvu de fortune, et le journalisme ne lui fournissant pas encore les ressources suffisantes à soutenir son existence et celle de la brillante femme qui a illustré son nom, Delphine Gay, il avait été contraint de faire des affaires. Quelques-unes ne réussirent pas et on l’accusa de malhonnêteté ; il s’en défendit victorieusement et confondit les calomnies ; néanmoins, le soupçon persista et le poursuivit. Il eut en outre le malheur de tuer en duel un des plus nobles journalistes du temps, Armand Carrel ; cela le rendit odieux à un parti qui ne pardonne jamais. Cependant, cette tombe demeura toujours ouverte dans son cœur : sous un nom supposé il faisait parvenir à l’amie chère que sa victime avait laissée dans le dénuement, une pension annuelle. Depuis sa violente polémique de 1848 contre Guizot, le ressentiment des orléanistes s’était joint à celui des républicains et il ne l’ut pas moins implacable.

L’indépendance de son caractère lui nuisit plus encore. Tout est facile à qui s’enrégimente dans un parti et le suit même contre son opinion, jusqu’à l’inique ou à l’absurde. Il n’appartint jamais qu’à lui-même et il attaqua et soutint tour à tour chaque parti, ce qui, loin de le rendre agréable à tous, le rendit suspect à tous également : ceux qu’il soutenait, au moment qu’ils profitaient le plus de son appui, restaient défians parce qu’ils se souvenaient de l’hostilité passée et prévoyaient l’hostilité future. Aussi ne put-il atteindre le but de son ambition et devenir ministre : « Mieux vaut, disait-il, huit jours de pouvoir que des années de journalisme. » Il n’obtint pas ces huit jours ; une résistance invincible d’opinion fut plus forte que les meilleures volontés et ce fut dommage, car il eût été un remarquable ministre. Cet ostracisme l’aigrit, puis faussa son jugement. Il avait eu le premier quelques idées pratiques très fécondes : le prix de l’abonnement aux journaux quotidiens baissé à quarante francs, les emprunts faits par voie de souscription nationale, l’uniformité d’un tarif réduit de la taxe des lettres, etc. Condamné à se dévorer dans l’inaction, ne pouvant se dépenser qu’en phrases, il perdit le sentiment du réel et se gaspilla en une foule de systèmes qui n’avaient pas le sens commun. Il abusa de la logique poussée à outrance, le plus trompeur et le plus facile des procédés.