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Reprendrait-il cette mauvaise tradition ? Certes son attitude eût été agressive, quoique sous des formes constitutionnelles, si la session s’était ouverte immédiatement après les élections, « mais la révocation de Persigny parut l’apaiser, il y vit une sorte de réparation. » Cousin, soufflé par Mérimée, s’efforça alors de l’amener à des dispositions conciliantes. Il crut y avoir réussi, et Mérimée en entretint l’Empereur qui lui dit : « Il y a longtemps que j’estime et que j’admire M. Thiers. Je pourrais dire que je l’aime, mais je ne le connais pas assez pour cela. Quant au retour complet et immédiat au gouvernement parlementaire, surtout en ce qui concerne la responsabilité ministérielle et le gouvernement par la Chambre, dans l’état de la France, avec une minorité rouge qui s’agite toujours pour refaire une république et le grand nombre d’imprudens qui aident à cela par leur indifférence ou leur goût pour la critique, c’est un parti dangereux, et je crois que M. Thiers n’en aperçoit pas assez tous les risques[1]. — Si vous parvenez à persuader à M. Thiers, ajoutait Mérimée, que sa maxime d’autrefois n’est plus de saison et qu’elle mène à des catastrophes, je ne doute pas qu’on ne prenne en très bonne part les conseils qu’il donnera. Hier soir, j’ai dit votre lettre, et, bien que je n’eusse pas le talent de la commenter savamment et éloquemment, j’ai vu avec grand plaisir que les idées générales en étaient acceptées. On ne demande pas mieux que d’être franchement constitutionnel ; si l’opposition respecte l’initiative de l’Empereur, surtout si elle ne conspire pas, on l’écoutera. Le même jour j’ai parlé à l’Impératrice de M. Thiers. Elle le croit orléaniste ; je l’ai fort défendu et je crois avoir détruit quelques-unes des idées fausses que Persigny lui avait données. « Voilà un homme très dévoué, lui ai-je dit, qui vient de vous faire beaucoup de mal... Je crois qu’il aurait dû dire comme César après le Rubicon : Quiconque ne me fera pas la guerre, je le tiens pour mon ami. » — Affermissez, je vous en prie, M. Thiers dans ses bonnes dispositions. Le changement qui vient d’avoir lieu est une satisfaction, et il comprendra qu’il a fallu du courage à l’Empereur, chez qui le cœur parle si haut, pour se séparer d’un ami si dévoué. Ce n’est pas de la flatterie que je voudrais de la part de M. Thiers. Je sais qu’il n’apporte pas d’hostilité, seulement je voudrais que, comme vous le dites

  1. Mérimée à Cousin, 22 juin 1863. Lettres inédites obligeamment communiquées par M. Chambon.