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LA DÉFENSE DE LA LÉGATION DE FRANCE.

il peut, en restant couché, être abrité par quelques planches et quelques poutres jetées au hasard en travers de la rue par les Chinois eux-mêmes. Mais l’éveil est donné. Les premiers coups de fusil partent de notre gauche, suivis aussitôt par d’autres, tirés de toutes les ruines qui nous entourent. Il faut nous effacer le plus possible, tout en conservant la faculté de pouvoir, le cas échéant, décharger utilement notre fusil. C’est à ce moment que nous nous apercevons que toutes les positions du tireur ne sont pas décrites dans la théorie. Pesqueur nous avertit tout bas que la barricade ennemie qui est à 15 mètres devant lui est garnie de Chinois : en même temps il nous fait signe de rentrer. Les coups de fusil deviennent de plus en plus nombreux ; il est évident que nos adversaires tirent sur la barricade, et non sur nous ; peut-être ne savent-ils pas que, derrière nos 50 centimètres de terre, nous sommes à l’abri de leurs projectiles. Ils restent d’ailleurs eux-mêmes très bien abrités ; à peine pouvons-nous brûler sept ou huit cartouches sur les rares paires d’yeux que nous apercevons. Le feu devient surtout nourri dans la partie sud de la rue de la Douane. Pesqueur, qui voit les Chinois rallier en grand nombre, nous dit une seconde fois de nous en aller ; son geste devient même impératif. Puisqu’il a pris le commandement, il ne nous reste plus qu’à obéir ; il est d’ailleurs inutile d’insister : je donne à mes voisins l’ordre de rentrer. Je me chamaille ensuite quelques secondes avec Pesqueur, qui entend protéger la retraite et passer le dernier ; je suis même forcé de lui retirer son commandement. Successivement, tous les hommes sautent de la barricade de la rue de la Douane à la brèche Pelliot ; c’est là le point dangereux, car nous sommes forcés de nous découvrir. Un chasseur habitué à tirer le lapin aurait eu sept occasions excellentes de prouver son adresse ; mais, quand je passe enfin à mon tour, j’ai la satisfaction de retrouver tous mes marins sains et saufs. C’est certainement une chance miraculeuse qu’aucun de nous n’ait été touché. M. Winterhalder nous dit combien il était inquiet, et quelle est sa joie de nous voir à l’abri. De mon côté, si je suis tout honteux d’avoir été obligé de montrer mes talons à ces sauvages, j’ai du moins la grande consolation de n’avoir perdu personne.

À quatre heures, nos ennemis ouvrent le feu avec un canon de 57 millimètres sur le portique et sur le blockhaus. Par le plus grand des hasards le premier coup n’a blessé personne, et nous