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LA DÉFENSE DE LA LÉGATION DE FRANCE.

Chinois se montrent au-dessus de leurs retranchemens et nous font des signes d’amitié. Pelliot engage avec eux une conversation et prend les mains qui lui sont tendues. Finalement, il saute par-dessus la barricade et disparaît dans le camp chinois. Winterhalder et moi, nous le rappelons en vain ; Pelliot nous a affirmé depuis qu’il n’avait rien entendu, ce qui n’a rien d’étonnant, étant donné le bruit que devaient faire autour de lui les Chinois se pressant pour le voir. On l’emmène.

Après un quart d’heure d’attente, nous rentrons au pavillon des Étrangers assez inquiets ; un Chinois du même camp vient bientôt nous rejoindre, et, sans plus de cérémonie, s’installe dans un de nos fauteuils. M. de Rosthorn, furieux, lui arrache le siège, en lui demandant depuis quand des coolies osaient s’asseoir devant des mandarins debout. En même temps sa main levée est plus que menaçante ; mais Winterhalder et moi lui faisons remarquer, avec empressement, que, tant que Pelliot ne sera pas revenu parmi nous, il sera peut-être prudent de traiter ce coolie en mandarin de première classe. Je prie poliment le Chinois d’être assez bon pour vouloir bien porter à l’Européen qui est parti un morceau de papier sur lequel j’ai écrit ces simples mots : « Vous donne l’ordre de revenir immédiatement. » C’est bien la première fois que j’emploie de pareils termes avec un volontaire, ou même avec un matelot ; mais, en réalité, nous sommes mortellement inquiets.

Deux heures après, un autre soldat revient porteur d’une lettre de Pelliot, écrite en chinois. Il est auprès de Jong-Lou ; — il boit du thé et mange des fruits ; — on est bienveillant pour lui ; il ne court aucun danger, et fera tout son possible pour être de retour dans une heure.

Cependant, les Chinois commencent une tranchée en avant de leurs barricades, Nous assistons à l’exécution de ce travail, rien moins que rassurant pour l’avenir ; il nous serait facile de l’empêcher, mais nous craignons de tuer Pelliot en tuant le terrassier.

Je renvoie ce deuxième soldat avec un autre ordre écrit, à peu près semblable au premier. Enfin, quatre heures après son départ, c’est-à-dire au moment où nous le considérions comme perdu, Pelliot revient par la rue des Légations. Du blockhaus que Chamot a élevé devant la porte de son hôtel, on l’aperçoit, debout sur notre vieille barricade abandonnée, serrant les mains de tous ses nouveaux amis.