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Que de fleurs la mode n’a-t-elle pas accréditées ! Que de fleurs n’a-t-elle pas laissées tomber dans l’oubli du monde élégant ! Telles les auricules, les giroflées, le grenadier, le myrte, la tulipe surnommée jadis : le chef-d’œuvre de Dieu. Que de fleurs plébéiennes mériteraient de faire partie de l’aristocratie florale ! Que de dédains injustes pour tant de charmantes personnes qui n’ont souvent d’autre tort que de se prodiguer ! Au fond, les horticulteurs doivent reconnaître que la mode est assez bonne princesse, que ses évolutions dans leur domaine ne sont point foudroyantes, qu’ils peuvent donc s’y préparer, se mettre en mesure avec les nouvelles inconnues qui prennent des allures envahissantes. Comme les vrais hommes d’Etat, ils doivent, eux aussi, prévoir ; les bateaux à vapeur, les chemins de fer, le téléphone ont mis en quelque sorte les peuples porte à porte, rendu les affaires plus considérables, la concurrence plus intense ; entre l’industrie d’aujourd’hui et celle d’autrefois il y a presque autant de différence qu’entre la stratégie d’Alexandre et celle de Napoléon : c’est le propre du génie, du simple. talent même, de trouver l’arme, le procédé, la tactique, qui conviennent à chaque époque, à chaque circonstance. À ceux qui se plaignent, je voudrais rappeler une légende que j’ai entendu conter par un ami de Franche-Comté, et qui, avec quelques changemens, peut servir de leçon aux éternels mécontens de tout poil, de toute profession.

Or donc un paysan gémissait sur la longueur et la largeur du champ qu’il avait à labourer. Satan, qui ne se pique pas toujours de logique, était ce jour-là en veine de bienveillance ; il sort du sillon et dit à Jacques Bonhomme : « J’ai parié, hier, que je verrais un être satisfait de son sort ; donne-moi ta charrue, ton aiguillon, je vais besogner pour ton compte. » Et en effet le diable besogna si bien qu’en un tour de main le vaste champ était labouré profond, que les pierres, le chiendent avaient disparu comme par enchantement. « — Est-ce bien ainsi ? — Voire, fit le paysan en se grattant la tête, mais la semence est bien chère cette année. » — Et Satan de fouetter l’air de sa queue, et les grains de blé de tomber serrés comme gouttes de pluie. — « Et maintenant ? — Peuh ! fit le laboureur ; qui me garantira des gelées, de la sécheresse, de l’orage, de l’excès d’humidité, de toutes les maladies de la terre ? — Tiens, prends cette boîte ; elle contient la pluie et le beau temps, gouverne-les à ton gré. » Et le paysan les