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gouverna à merveille, et son blé était admirable, mais les blés voisins avaient profité du bienfait, les épis dans tout le canton étaient lourds, hauts et drus ; et Satan, faisant sa tournée, aperçut son obligé qui regardait avec envie les champs des autres. — « Tu n’as donc pas tout ce qu’il te faut ? interroge-t-il. — Hélas ! la campagne crève de blé, je vendrai le mien à vil prix : cette magnifique récolte m’aura ruiné. » Tandis qu’il pérorait, Satan cueillit un épi, l’égrena, et, ayant soufflé sur les balles, il dit au laboureur que tous les grains de tous les épis du champ étaient comme ceux-ci, de l’or pur. — Jacques Bonhomme les prit, les soupesa longuement, puis, avec le geste et l’accent du désespoir, il soupira : « Mon Dieu, va-t-il falloir dépenser gros pour faire contrôler et poinçonner tout cela ! » Le diable reconnut alors qu’il avait perdu son pari et qu’il fallait renoncer à satisfaire un cultivateur.

Le savant Albert le Grand donne des détails significatifs sur l’horticulture de son temps : sa description du jardin ou verger confirme en tout point les dires des trouvères. Des plantes potagères, médicinales et aromatiques, des arbres fruitiers, quelques fleurs, la rose et le lis, la violette, l’ancolie, voilà tout. Un siècle plus tard, le Ménagier de Paris y joint la giroflée ; au XVe siècle seulement, l’œillet fait son apparition.

Le Lai de l’Oiselet parle d’un jardin entouré de canaux, orné d’une jolie fontaine, avec verger, roses, plantes aromatiques, arbres régulièrement taillés. L’auteur du Roman de la Rose décrit aussi un jardin, « les buissons bien sentans, les violettes, parvanches nouvelles, girofle, réglisse, anis, cannelle, lauriers, hault pins, oliviers, cyprès, ormes, chênes, fruits variés, oiseaux et gibier. » Il faut cependant noter que les fleurs, au moyen âge, jouent un grand rôle dans la coiffure des femmes, que la corporation des bouquetières-chapelières. fondée au XIIe siècle, abolie au XVIIIe, a une importance assez considérable. D’après quelques coutumes de l’ancien droit, un chapel de roses était la seule dot que la jeune fille pût réclamer à ses parens.

La difficulté des voyages, les guerres continuelles, l’absence de la vie de société, la pauvreté du peuple, tout concourait à empêcher qu’on n’embellît les propriétés. Les croisades auraient pu faciliter l’introduction des plantes étrangères de luxe : on ne songeait qu’à l’utile. Parfois, dans les riches abbayes, à côté du potager, se trouvait le jardin des simples, réunis dans une intention