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tendresse était exprimée avec la chaleur qui distingue celles de Saint-Preux à Héloïse. Ces faibles mères étaient blessées de m’entendre blâmer ce style. » Elle rendait ainsi à l’éducation sa véritable base en la fondant non sur le sentiment, mais sur la raison.

Solide, pratique, utile, plutôt que brillante, telle nous apparaît l’éducation qu’on donnait à Écouen. Elles aussi, les jeunes filles qui la recevaient, étaient des jeunes filles pauvres. Mme Campan ne l’oublie pas, et elle les élève en vue du monde où elles doivent vivre dans une condition modeste. « La piété des élèves est sincère, profonde, dégagée de toute espèce de mômerie, de petites idées, de pratiques mesquines… Leur instruction sur la langue française, sur l’histoire, sur la géographie est des plus étendues… Elles apprennent la danse seulement pour former leur maintien. Elles excellent dans la couture de tous les genres. Elles aident à donner, à compter, à recevoir le linge ; elles font leur lit, nettoient et balayent leurs classes ; enfin elles soignent maternellement leurs plus jeunes compagnes et donnent dans les classes inférieures des leçons sur diverses parties de l’enseignement, ce qui les forme à la chose la plus essentielle : la possibilité de transmettre à leurs filles l’éducation qu’elles auront reçue… » C’est donc encore le principe de l’éducation de Saint-Cyr ; ce n’en est plus ni la liberté ni le charme. Dans une des Lettres de deux jeunes amies que Mme Campan imagine écrites par une élève d’Ecouen, celle-ci se plaint de l’inflexibilité du règlement. « La cloche ne cesse de sonner la rentrée en classe, la leçon d’écriture, celle de l’institutrice ; puis elle sonne le dîner, le souper, le coucher, enfin nous marchons ici comme une horloge. » Elles marchaient au son de la cloche ces jeunes filles, comme, dans les régimens de Napoléon et dans ses lycées, on marchait au roulement du tambour. Au surplus, avec ses inspections qui reviennent à intervalles fixes et ses récréations qui sont « l’objet d’une surveillance discrète, » la maison d’Écouen ressemble fort à un lycée. Tout y est, comme dans l’Université impériale, réglé, impersonnel et anonyme. Digne, également bienveillante pour tous et craignant par-dessus tout de se compromettre, Mme Campan est déjà un proviseur en jupes.

Comme on le voit, l’éducation jadis usitée pour les filles subit l’influence des milieux qu’elle traverse et se nuance diversement suivant le reflet des temps. Mais il est très exact que dans son essence elle ne varie pas. Elle fait partie intégrante d’un système social : elle s’adapte exactement aux besoins d’une société fondée sur la vie de famille : ce qu’elle prépare dans la femme c’est la ménagère, la