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disciples, — lettre qui paraît bien n’avoir été écrite que pour ce post-scriptum, — il demandait « l’impression que Mlle Herbert avait eue de sa lettre. » Et, dès le mois suivant, il recevait de la demoiselle elle-même une très longue lettre, qui, sans doute, l’aura plus étonné encore que n’avait fait la première.

La jeune fille commençait par le remercier de ses bons conseils, qui d’ailleurs ne lui avaient servi de rien, car son ami « avait persisté dans sa froideur. » Et elle ajoutait que, à présent, ce n’était plus l’amour, mais l’ennui, qui la torturait. « Rien n’a plus de charme pour moi ; la réalisation de tous les vœux me concernant ne me procure aucun plaisir ; et il n’y a pas une seule action au monde qui me paraisse valoir la peine d’être faite. » Du moins avait-elle l’espoir que, dans la vie future, cet état de « vide végétatif » cesserait pour elle ; mais, dans cette vie-ci, elle savait que tous les remèdes seraient impuissans à la soulager. « Toutes les sciences de la nature, la connaissance des hommes, je n’ai nul désir d’étudier tout cela ; car, n’ayant pas en moi de génie, je sens trop que je ne parviendrai jamais à y faire des découvertes précieuses pour les autres : et, quant à moi-même, tout m’est indifférent de ce qui n’est pas l’impératif catégorique et ma conscience transcendantale. » Puis, interrompant tout à coup ce jargon difficile, elle disait à Kant : « Dans quelque temps, si ma santé me le permet, j’irai à Kœnigsberg, ce dont je vous demande d’avance l’autorisation. Je vous prierai alors de me raconter votre histoire, car je suis curieuse de savoir à quel régime de vie vous a conduit votre philosophie, et si, pour vous aussi, ce ne serait point une bonne chose de vous choisir une femme, ou de vous donner à quelqu’un de tout votre cœur, et de prolonger votre espèce en ayant des enfans. J’ai fait venir votre portrait, de chez Bause, à Leipzig : j’y ai bien trouvé une profonde tranquillité morale, mais aucune trace de la finesse d’esprit qui m’a frappé avant tout dans votre Critique de la Raison pure. Au reste, je ne serai point satisfaite aussi longtemps que je ne vous aurai pas vu vous-même en pleine figure. » Et la lettre s’achevait par cette requête, infiniment piquante dans sa naïveté : « Si vous consentez à me faire l’extrême plaisir de m’honorer d’une réponse, veuillez, je vous en supplie, la composer de telle sorte qu’elle touche seulement au particulier, et non pas au général, sur quoi j’ai déjà, dans vos livres, tous les renseignemens que je puis désirer ! »

Et Kant, de nouveau, s’émeut, s’agite, médite une réponse. Mais toute cette belle flamme s’éteint, lorsque le disciple qu’il a interrogé sur Marie de Herbert, Benjamin Erhard, lui répond que la jeune fille est,