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cette faveur passagère ne le détachai de Dieu. « Je ne lui compte pas tant, disait-il à Beauvillier dans une autre lettre, d’avoir méprisé le monde quand le monde était contre lui, que je lui compterais de vivre détaché du monde quand le monde lui applaudit et le recherche avec empressement. Si ce prince était livré à son propre cœur, loin de Dieu et de l’ordre des grâces qu’il a éprouvées, tout se dessécherait pour lui, et le monde même qui lui aurait fait oublier Dieu servirait d’instrument à Dieu pour le venger de son ingratitude[1]. »

Ce n’était pas pour avoir oublié Dieu que le Duc de Bourgogne devait connaître un jour la défaveur du monde. Mais ce moment n’était pas encore venu, et le monde l’avait eu gré. Louis XIV lui donnait même un témoignage public de sa confiance. Jusque-là le Duc de Bourgogne n’avait fait partie que du Conseil des Dépêches. Au mois de décembre, le Roi lui annonça que désormais il ferait partie non seulement du Conseil des Finances, mais du Conseil d’État ou Conseil d’En-Haut qui était le plus important de tous. Cette marque de confiance était d’autant plus frappante que le Duc de Bourgogne n’avait que vingt ans, et que son père, Monseigneur, n’était entré au Conseil d’État qu’à trente. Aussi le Duc de Bourgogne reçut-il publiquement les félicitations des courtisans. Bouffi ers, qui venait d’arriver à la Cour, lui ayant offert les siennes, le Duc de Bourgogne, avec bonne grâce, « affecta de le remercier de ce qu’il avait beaucoup contribué à lui valoir ce témoignage de la gratitude et de l’estime de son grand-père[2]. » La Duchesse de Bourgogne, plus sensible à la gloire qu’à l’amour de son mari, en manifestait publiquement sa joie.

Au printemps de 1703, la question dut se poser à nouveau dans l’esprit de Louis XIV de savoir quelle armée il confierait à son petit-fils. Moins que jamais il pouvait être question de l’envoyer en Italie avec Vendôme. L’association avec Boufflers n’avait pas été assez heureuse pour qu’il fût tenté de le renvoyer en Flandre. Restait l’Allemagne, où l’armée royale était divisée en deux corps, l’un sous les ordres de Villars, l’autre sous les ordres de Tallart. Certes, pour achever de former le Duc de Bourgogne, l’école de Villars eût été bonne. Il avait terminé la

  1. Œuvres de Fénelon, édition Boislile, I. X. p. 239 et 240.
  2. Saint-Simon, édition Boislisle, t. X. p. 384. Note tirée des papiers du Père Léonard.